24 Sep 24 Jamie xx – ‘In Waves’
Album / XL Recordings / 20.09.2024
Electro
Anachronique. Là où certain.e.s sortent d’un BRAT summer passé à se laisser porter par une nouvelle génération de clubbers britanniques, un autre public – plus âgé, on en met sa main à couper – aura peut-être lui fait le choix de suivre le buzz orchestré par Jamie xx, un single après l’autre, afin de faire monter la sauce avant la sortie de son In Waves. Deux salles, deux sons, mais une volonté commune de faire se trémousser vos corps bronzés sur la piste de danse. C’est bien connu, l’été est le moment où vacanciers comme hipsters baissent la garde et se détendent. Venez comme vous êtes, mêmes avec des tongs. Ce genre de relâchement généralisé aura en partie donné à Charli XCX et A.G. Cook la consécration populaire que ces derniers cherchaient à atteindre depuis des années – le tout avec une morgue, une spontanéité et une cool attitude à l’aune de leurs sons les plus récents. Pour Jamie xx, l’enjeu était différent : comment renouer avec l’hédonisme des folles nuits londoniennes tout en ne donnant pas l’impression de vouloir à tout prix rattraper le train en marche ?
Anachronique est donc la réponse fournie par James Thomas Smith. Pour ne pas dire ‘conservatrice’. Non pas que ce repli tactique ne fournisse pas quelques avantages, en tout cas pour ce qui concerne les singles, qui prouvent encore une fois à quel point Jamie xx excelle dans l’exercice de la relecture et de la citation. Particulièrement mise à l’honneur ici, la soul music de Detroit. Treat Each Other Right dépoussière ainsi un 45-tours assez confidentiel, Oh My Love, sorti en 1975 par une certaine Almeta Lattimore, ancienne choriste d’Aretha Franklin de son état. La manière dont les drops et les samples s’enchevêtrent sur ce titre, qui laisse entrevoir certaines coutures pour mieux rendre hommage au matériau original, pourra certes couper le danseur dans son élan. Mais ce qu’il perd en groove pur, Treat Each Other Right le gagne en substance et en émotion. Le même phénomène se produit sur Dafodil (co-produit avec Panda Bear d’Animal Collective), dont l’ossature downtempo reprend deux versions de la même bluette délicieusement surannée, Touching You, tour à tour chantée par J.J. Barnes et Astrud Gilberto dans la première moitié des seventies. Une ossature si marquante que les interventions des invité.e.s issu.e.s de la scène queer ou queer-friendly (Kelsey Lu et John Glacier) peinent à apporter une brique vraiment essentielle au déjà charmant édifice. Invitées autrement plus efficaces, Honey Dijon et Robyn apportent elles un indéniable piment sur les beats forts en pétarades cuivrées de Baddy On The Floor et Life – qui pille par ailleurs allégrement la légende disco Marc Cerrone. La succession de ces temps forts sur la première moitié du disque fait plus penser à un DJ mix qu’à un album classique, mais pour peu que l’on décide de laisser son cerveau au vestiaire au moment de payer son entrée pour la nuit, il n’y a pas de réelles raisons de bouder son plaisir.
Y a-t-il une vie au-delà de la piste de danse dans In Waves, toutefois ? À la découverte de l’album dans son intégralité aujourd’hui, il est permis d’en douter. Waited All Night, à l’introduction prometteuse, donne l’occasion à Jamie de réunir son gang originel au complet – petit évènement en soi pour les fans hardcore de The xx, mais rien de bien transcendant pour les autres au vu du titre final. Plus embêtant encore, Still Summer et The Feeling I Get From You évoquent un DJ à la peine, perdant un à un ses danseurs après un début de soirée en fanfare. Le final Falling Together tente bien de remettre au goût du jour les sonorités ‘aciiiiiiides’ du début des nineties, un choix intéressant sur le papier. Mais cela n’empêchera pas la ruée vers le vestiaire pour récupérer manteaux, sacs et (éventuellement) cerveaux. Seuls All You Children, avec The Avalanches, et Breather, lorgnant vers les volutes impressionnistes d’un Bicep ou d’un Floating Points, arrivent à se démarquer, même s’ils fascineront plus le clubber effectuant une pause boisson sur le canapé que le dernier carré de fêtards encore présent sur la piste.
Il y a dix ans, In Colours se servait du dancefloor comme une rampe de lancement emmenant l’auditeur vers des destinations autrement plus évocatrices – des banlieues sombres anglaises aux tropiques caribéennes, en passant par la planète Mars et l’espace intersidéral. Le disque n’était pas seulement dansant. Il pouvait aussi être onirique, cérébral, cinématique, joyeux ou mélancolique. La fusée d’In Waves, volontairement conçue comme un engin plus monomaniaque (tout est dit dans l’artwork), reste elle désespérément collée au sol, en dépit de sa production soyeuse et de ses highlights tape-à-l’œil. Elle vise l’efficacité à tout prix, sans garantie de l’atteindre à chaque coup, et finit par en oublier que les danseurs du samedi soir sont aussi des êtres faits de chair et d’émotions. Avec au final un repli très premier degré sur de bonnes vieilles formules, qui ne passionneront pas forcément de nouveaux aficionados en 2024. Restent les anciens, qui s’amuseront toujours autant sur les derniers bangers du bonhomme, avant de chercher frénétiquement le ticket du vestiaire dans leurs poches. Vous savez, celui que l’on n’arrête pas d’égarer, et qui vous rappelle soudain que le monde réel existe, au-delà des quatre murs de la boîte de nuit…
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