Iron & Wine – ‘Beast Epic’

Iron & Wine – ‘Beast Epic’

Album / Sub Pop / 25.08.2017
Folk


Ce fut par un heureux hasard que je choisis d’écouter ‘Beast Epic’ à bord d’un train rasant la campagne. Les dernières lueurs du jour peinturluraient d’ocre et d’outremer l’après-midi trépassante. Le doux ballottement de la voiture sa calquait tranquillement sur les batteries flegmatiques de Joe Adamik, percussionniste sur l’album, et vieux compère de Sam Beam. Malgré la torpeur vespérale, il ne me fallut pas longtemps pour m’apercevoir que le paysage qui s’allongeait sous mes yeux valait cent fois tout ce que je pourrais bien écrire sur ce sixième album d’Iron & Wine. À commencer par la pochette, qu’il reflétait étrangement.

Un musicien, dont l’abondante barbe bronze lève le doute sur l’identité, y est représenté une guitare autour du cou, et un bandeau noir sur les yeux. Dépassant de son costume bleu marine, sa peau rouge écarlate se détache des tons orange et jaunes qui l’entourent. Il n’a pourtant pas l’air en colère, ni handicapé par sa cécité passagère. Au contraire, il semble serein, là, bien campé sur ses jambes, solidement arrimé à sa guitare, prêt à chanter des correspondances qui échappent à la perception de ceux qui n’usent que leurs yeux. En prêtant l’oreille aux onze morceaux de l’album, on suspecte vite que cet aveuglement est volontaire.

Our music is clumsy and free‘ entonne-t-il dans la chanson d’ouverture, ‘Claim Your Ghost’, en posant la maladresse en condition à la liberté. Le renoncement à tout voir, à tout saisir, dessine à longueur de titre un art de l’humilité, qu’évoquent à la perfection les arrangements sobres et acoustiques. Une humilité, donc, qui n’est pas pour Sam Beam une limite, mais un présent offert par les années – ce qu’une personne sans imagination appellerait maturité. Car ce processus ne peut être enfermé dans un concept universel, il est nécessairement intime, personnel, individuel.

Il ne peut en être autrement, le chemin vers la vérité ne pouvant passer que par la reconnaissance de la destination finale : la mort. Dans une œuvre aussi ingénue en apparence, il y est d’ailleurs fait référence un nombre surprenant de fois, comme dans ‘Summer Clouds’ : ‘By the end, there’s a song we will sing meant for someone else / By the end we’ll live somewhere too long to ever wander back‘. Accepter cette fin inéluctable, c’est se mettre en accord avec sa nature profonde, tandis que la nier revient à se parjurer. Ce désir de sincérité face à soi-même et à la mort inspire d’ailleurs à l’artiste les plus beaux vers de l’album, issu du deuxième single, ‘Thomas County Law’ :

Thomas County Law got a crooked tooth / There ain’t no mother with a heart less than black and blue / When they hold’em to the light you can see right through / Every dreamer falls asleep in their dancing shoe / I may say I don’t belong here but I know I do

Nobody looks away when the sun goes down

‘La justice de la paroisse de Thomas a une dent de traviole / Il n’est pas une mère dont le cœur manque de beurre noir / Quand on les tient sous la lumière, on peut voir à travers / Tous les rêveurs s’endorment chaussure de danse au pied / Quoi que j’en dise, je sais que je viens d’ici

Personne ne détourne les yeux quand le soleil se couche’

‘Beast Epic’ ne dit alors rien d’autre que ce que son titre décrit. L’épopée d’une bête, même humaine, ce n’est rien d’autre que naître et mourir, en apprenant entre temps quelle est sa place. Avec une délicatesse rappelant par maints aspect le James Taylor de ‘Fire & Rain’, Iron & Wine dessine au point de croix le tableau bucolique de la condition humaine. Fort de ses maladresses, l’album, s’il évoque parfois par ses arrangements une country un peu passée, n’est jamais vain ou fat, et reste toujours fidèle à lui-même : tout bêtement épique.

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A ECOUTER EN PRIORITE
‘Thomas County Law’, ‘Bitter Truth’, ‘Summer Clouds’, ‘Call It Dreaming’, ‘Last Night’


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