El-P – « I’ll Sleep When You’re Dead »

El-P – « I’ll Sleep When You’re Dead »

I'll Sleep When You're Dead[Album]
19/03/2007
(Def Jux/Pias)

Beaucoup de choses ont changé dans le hip hop depuis que Company Flow a sorti ses premiers disques, allant de paire avec l’essor pris par Rawkus dans les années 90. El-P et Bigg Jus ayant ensuite décidé de suivre des chemins séparés et de créer leurs propres labels respectifs, le premier lança Def Jux et un catalogue qui allait s’inscrire sensiblement dans la même lignée que son parcours personnel.

De celui-ci, « Fantastic Damage » est encore à ce jour une pièce maîtresse tant il illustrait à merveille la personnalité du Mc (qui s’était aussi chargé des productions), mais aussi l’ambiance qui régnait alors dans l’Amérique post 11 septembre. Rarement, pour ne pas dire jamais, un album de hip hop n’avait sonné si tendu, apocalyptique, et expérimental à tel point qu’il en devenait absolument captivant. Alors, chaque sortie discographique de El-P, tout comme la moindre de ses productions pour le compte de pas mal d’artistes hip hop, suscitaient une curiosité incontestable, l’auditeur sachant pertinemment qu’il fallait s’attendre à marcher en dehors des sentiers battus. Mais rien ne pouvait égaler le degré d’impatience à la veille de la sortie de « I’ll Sleep When You’re Dead », ce deuxième album officiel, qui faisait frémir tous ses aficionados depuis l’annonce de sa sortie l’an passé

Non, El-P n’a pas changé, n’a cédé à aucune pression marketing ou commerciale, a juste continué sa route pour aller encore plus loin, goûter à de nouvelles choses, sans jamais avoir la prétention d’incarner un quelconque renouveau du hip hop. Pourtant, les changements opérés sur ce nouveau disque sont faits avec tellement de méticulosité, qu’ils ne sont même pas décelables aux premières écoutes. Ici, l’atmosphère n’est pas plus lumineuse et optimiste que sur « Fantastic Damage », elle est seulement moins brute de décoffrage, plus soignée, plus mélodique aussi (« The League Of Extraordinary Nobodies », « Poisenville Kids No Win »), quelques refrains sont même plus évidents (« Up All Night », « The Overly Dramatic Truth »). Et l’ambiance est plantée dés les premiers mots de cet opus empruntés à Twin Peaks: « do you think that if you were falling in space that you would slow down after a while or go faster and faster? Faster and faster. For a long time, you wouldn’t feel anything. And you’d burst into fire, forever« . El-P n’est donc définitivement pas comme les autres, ces préoccupations pour le moins marginales en attestent

L’album est lancé. Comme à leur habitude, ses beats métalliques cognent sans vergogne (« Drive », « No Kings »), les productions sont d’une richesse infinie (« Dear Sirs »), et son flow n’a jamais été aussi saillant (« Run The Numbers »). Et qu’il balance des samples oppressants (« Smithereen »), des rafales de percussions (« Up All Night »), ou flirte avec le rock façon « Stepfather Factory » (« Habeas Corpses »), sa patte artistique reste en tout point révolutionnaire. Et pour parfaire le tout, quelques invités de marque apparaissent sur ce disque, mais toujours assez discrètement, ici ou là, parfois de manière assez lointaine pour qu’ils ne soient pas reconnaissables instantanément (Trent Reznor de Nine Inch Nails sur « Flyentology » par exemple): une preuve d’originalité à l’heure ou les Mcs cachent une certaine médiocrité derrière une large vitrine de featurings

Hormis les contributions plus évidentes d’Aesop Rock, Cage, Tame One, Camu Tao, et Hangar 18, qu’il s’agisse de la guitare de Matt Sweeney (Chavez, Swan), comme celle de Mars Volta (le chant en plus sur « Tasmanian Pain Coaster »), du clavier de Darryl Palumbo (Glassjaw), du chant de Chan Marshall (Cat Power), des choeurs de Rob Sonic, ou des scratches bien sentis de Mr Dibbs ou Mike Relm, rien ne vient effacer la forte personnalité de El-P, ni éronner son énorme emprise sur ce disque. Et l’on n’abordera pas les apparitions de Murs, Slug, TV On The Radio, James McNew (Yo La Tengo) ou Mr Len, toutes trop bien cachées pour tomber dans une chronique déjà trop fleuve

Alors que la déception est souvent de mise à la sortie d’un album si attendu (les exemples ne manquent pas), El-P se place au moins à la hauteur des attentes. Novateur, virtuose de la production, parolier profond, le new yorkais est à des milliers de kilomètres au-dessus de ses paires, en plein apesanteur, gagnant constamment de la vitesse, sans jamais s’embraser. Ne cherchez pas de concurrent cette année à ce « I’ll Sleep When You’re Dead », il n’existe pas à l’heure actuelle de référence si bouleversante

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