Hooveriii – ‘Pointe’

Hooveriii – ‘Pointe’

Album / The Reverberation Appreciation Society / 13.10.2023
Pop psychédélique

Après des débuts garage à l’esprit DIY bien marqué, Hooveriii se métamorphose en 2018 en groupe de space rock, au psychédélisme parfois flamboyant mais ne négligeant pas des incursions mesurées du côté du Krautrock. Il s’agissait alors d’une véritable renaissance pour le groupe fondé par Bert Hoover qui, en plus de stabiliser son effectif, lui permettait d’afficher un indéniable talent de composition, encore insuffisant, toutefois, pour le démarquer de la concurrence. En 2022, voilà que les cieux s’entrouvrent (en l’occurence les portes de The Reverberation Appreciation Society, leur mythique label) pour diffuser cette éclatante révélation qu’était A Round of Applause : rien dans le passé du groupe ne laissait présager cette capacité à livrer cette ahurissante collection de morceaux immensément tubesques (Twisted and Vile, Time-The Outlaw et… tout le reste !), soigneusement diversifiée dans son approche du psyché mais toujours soucieuse de cohérence et d’efficacité. S’agissait-il toujours du même groupe, ou ne voyait-on pas s’accomplir sous nos yeux ébahis une véritable transfiguration ? Soyons excessifs et penchons pour la seconde option, avec la conviction que l’on découvrait alors d’authentiques gens de goût, doublés de stylistes hors-pair, s’affirmant comme de véritables artistes après avoir compris que l’artisanat, en dépit de ses nobles mérites, ne leur suffisait pas pour marquer l’histoire.

Un an plus tard, sort Pointe, le mystérieusement nommé, qui terrasse avec délice l’auditeur à peine surpris de se confronter à un tel niveau d’excellence. A la première écoute, toutefois, pour qui a apprécié le précédent opus, c’est l’étonnement : les tempos sont nettement plus ralentis, les guitares beaucoup plus discrètes, et les touches synthétiques parfois prédominantes. Mais l’étonnement, fort heureusement, peut très vite laisser la place à l’enthousiasme – ce que confirment les écoutes ultérieures – et l’enthousiasme se transformer en éblouissement. Les mélodies sont moins tapageuses, mais leur délicate finesse ainsi que leur précision incomparable n’en parviennent que mieux à distiller un charme vite devenu irrésistible. Moins de flamboyance rock psyché, prompte à faire crépiter l’électricité, mais plus de synth-pop stylisée, sans cesse animée par un groove impérial et sublimée par une voix élégamment suave. On a là un son californien mutant, charnel et pourtant classieusement lustré par l’éléctronique, idéal pour accompagner le soleil couchant et tamiser nos nuits.

Pointe s’ouvre sur Prom qui développe, sur un air de xylophone accompagné de saxophones à la solennelle gravité, une ritournelle qui – on ne s’attendait pas à cela – rappelle les élégantes architectures sonores de Cate Le Bon. The Tall Grass glisse au bon moment du côté de la pop et ravive le souvenir des tubes incontournables de Supergrass. Puis entre deux ballades impeccables, This Rock et la très soul I’m Alive, s’intercale le très enlevé Can’t Your Hear Me Calling, prétexte pour une jam hyper funky. Hooveriii a pratiqué le procédé sur d’anciens albums (sur Water for the Frogs, en particulier), pour un résultat beaucoup plus rébarbatif ; mais ici, en délaissant l’inspiration Krautrock pour tirer du côté du funk, tout en maîtrisant parfaitement le timing, il rend juste réjouissante la libération des instruments. Juste après The Game, plus dispensable, Pointe se dirige vers son sommet. La fin de l’album est effectivement d’une classe folle, et n’en finira pas de hanter durablement nos mémoires : Circling the Square impose sa basse dominatrice que l’on croirait tout droit venue de Georgia Boy d’Al Green, avant que l’on soit ensorcelé par The Ship That I Sail et ses neuf minutes de groove stupéfiant, les oreilles déchirées méthodiquement et régulièrement par de félines guitares. Bercés par la voix feutrée de Bert Hoover, qui n’a qu’à se reposer sensuellement sur les ondes ryhtmiques, on ne sait plus si on navigue sur quelque mer chaude ou si l’on danse dans un nightclub californien du début des années 80, entourés de figures de la mode tout droit sorties d’un clip de Bryan Ferry. Enfin, l’échappée de Dreaming, avec ses voix féminines déjà ailleurs, seulement maintenues au sol par quelques notes de piano, et ses guitares aériennes et hawaïennes créant des volutes dans le soir couchant, nous mène bien loin de ce monde, vers d’imaginaires verticalités.

Sur la pochette de ce dernier album d’Hooveriii, une curieuse montagne émerge de la brume et ses deux pointes d’inégale grandeur lancent des éclairs dans le sombre azur qui les surplombe. Une voix d’accès vers un autre monde est-elle indiquée ? Pointe nous détache effectivement de notre quotidien en créant un environnement artificiel à base de sonorités mêlant habilement références passées et incursions futuristes. Et c’est en brouillant magistralement les repères, tant spatiaux que temporels, qu’il parvient à produire cette ivresse de l’illusion artistique nous permettant, comme le disait un philosophe moustachu, allemand de surcroît, de ne pas désespérer de la réalité.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
The Tall Grass, I’m Alive, Circling Square, The Ship That I Sail

EN CONCERT

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