Half Japanese – ‘Crazy Hearts’

Half Japanese – ‘Crazy Hearts’

Album / Fire / 04.12.2020
Indie rock

Autant l’annoncer dès la première ligne de cette chronique pour se débarrasser d’une évidence : Jad Fair est un génie. À bientôt 70 balais et quasiment autant d’albums et de collaborations à la ceinture, il a traversé les décennies et les générations sans jamais abandonner son éthique DIY. Le fondateur, guitariste et chanteur de Half Japanese depuis le milieu des années 1970 continue son bonhomme de chemin en se contrefoutant des modes passagères et d’un quelconque potentiel commercial. Le king du lo-fi fait ce qu’il veut, quand il veut, avec qui il veut. Et ça lui réussit puisqu’il est actuellement en train de revivre une seconde jeunesse, Crazy Hearts étant en effet le cinquième album du groupe depuis 2016. Par son biais, il affirme la direction plus pop et soignée du collectif. Certes, en s’éloignant de la lo-fi rudimentaire et chaotique qui a forgé sa légende, le compositeur américain ne va pas faire que des heureux. Mais peu importe l’avis des puristes agaçants, Half Japanese est toujours plus précieux et important que jamais.

Très tôt, Jad fair apprend qu’il lui suffit d’une guitare désaccordée et d’un ampli bon marché pour faire du bruit. Dans sa chambre d’une petite ville tranquille du Michigan, il décide en 1974 de monter un groupe avec son frère. Seulement, ça ne suffit pas au boulimique de travail. Il va aussi prendre en charge chaque aspect de la production, de l’enregistrement, de la diffusion et même s’occuper du design des pochettes. Sans réfléchir et encore moins s’en rendre compte, Jad Fair va poser les bases de la culture DIY punk américaine et, avec le temps, devenir une icône pour des types comme Kurt Cobain – mort avec un tee-shirt d’Half Japanese sur le dos, pour l’anecdote – ou encore Thurston Moore. Et plus de quarante ans plus tard, Jad ne voit toujours pas l’utilité d’accorder sa guitare.

Sur Crazy Hearts, il y a quelque chose de miraculeusement naïf et joyeux sur chaque composition. On retrouve toute la mythologie chère au groupe – à savoir les créatures surnaturelles. Sur la merveille power pop The Beastmaster, un monstre sauvage cherche à contrôler le règne animal. Sur l’hypnotisant Late At Night, nous avons affaire à des zombies rampant la nuit. Jad Fair ne chante que sur ce qui le passionne : l’amour, les grosses bêbêtes imaginaires et parfois les deux en même temps. C’est un poète enfantin, à l’instar de son ami Daniel Johnston disparu l’année dernière.

La musique d’Half Japanese est beaucoup plus accessible que d’ordinaire sur cet album. La pop bricolée et étrange de Wondrous Wonder témoigne de l’incroyable talent naturel de Jad Fair pour écrire des chansons irrésistibles. C’est fougueux, c’est implacable, et les titres comportent même des couplets et des refrains… Chose assez rare pour le groupe, la structure standard d’un morceau étant chez lui un territoire inconnu. En abordant la fougue de l’opus, difficile de ne pas s’attarder un tantinet sur le psychédélique And It Is. Si ça ne vous donne pas au minimum envie de taper du pied au rythme du synthé très new-wave, je suis au regret de vous dire que quelque chose est définitivement mort à l’intérieur de votre carcasse.

Les membres d’Half Japanese continuent de prouver qu’ils sont incapables de sortir un mauvais album, et Jad Fair qu’il reste l’un des meilleurs songwriters vivants. Crazy Hearts n’a peut-être pas la folie et l’énergie punk des débuts, mais le groupe arrive toujours à garder une imprévisibilité dans ses mélodies et dans son approche déstructurée d’une composition. On peut parier que ces éléments et la production léchée de Crazy Hearts vont attirer une nouvelle base de fans. Et c’est tant mieux, parce qu’il leur restera encore 18 autres albums studios à découvrir.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
The Beastmaster, Wondrous Wonder, And It Is


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