27 Sep 24 Gurriers – ‘Come and See’
Album / No Filter / 13.09.2024
Post-punk noise
Depuis combien de temps n’avions-nous pas pris une telle baffe dans l’univers pourtant souvent si redondant du post-punk teinté de noise ? Nouveau phénomène dublinois remarqué pour ses concerts détonants et ses singles fracassants délivrés au compte-goutte depuis trois ans, Gurriers n’a désormais plus rien à envier à ses illustres aînés de Gilla Band ou Fontaine D.C. Passant enfin le cap du long-format, la dimension cathartique de ce premier disque dépasse, de loin, toutes nos attentes et plus intimes espoirs.
Noirs par leurs thématiques anxiogènes, lumineux par leurs aspects étrangement dansants, les onze titres de Come And See déferlent à une allure folle, emportant tout sur leur passage. Telle l’alarme lancinante de Nausea qui vient faire basculer son cri du cœur (ou de l’œsophage) vers un pont tendrement psychédélique, nous voici plongés dans l’urgence et la confusion d’un monde qui ne prend plus la peine de se poser la question du sens, comme une fuite en avant permanente. Les paroles éclairées de Dan Hoff et l’impressionnante symbiose du groupe agissent alors, non pas comme des régulateurs, mais bien comme des révélateurs des multiples causes, liens et effets de ce dysfonctionnement généralisé, société schizoïde prête à tout pour broyer le moindre élan vital de ses individus.
Chez Gurriers, la résistance se fera alors dans l’énergie et le fracas, tout en s’autorisant de vraies nuances de couleurs. Des Goblins appose ainsi sa mélodie orientale sur un groove irrésistible façon Fat Dog (la lourdeur en moins). En jouant du tempo, de la fuzz et des effets de compression, il nous propulse vers un Dipping Out entêtant avec son message aussi simple que libérateur (‘Choose life it’s better, so let’s all dip off to warm weather‘). Prayers, plus lancinant et hypnotique encore, s’en prend violemment aux rapports de pouvoir et de domination à travers le prisme de la religion (‘God is dead!‘, clamé comme un mantra Nietzschéen). Il y a du John Lydon dans tout ça, peut-être plus encore du côté PiL que face. Rouleau compresseur à la mécanique implacable, Close Call entraîne No More Photos dans son sillon avant que le sommet Top Of The Bill nous laisse ‘un peu’ de répit. Ses paroles déchirantes (‘The love is not dead, it just sleeps in other rooms‘) poursuivent pourtant l’état des lieux d’une société malade dont les stigmates se lisent à chaque degré de perception, que ce soit au niveau intime ou plus global (‘My body’s a temple but ruined by the state and heaven’s on the wrong side of the road‘).
Les blessures amoureuses deviennent alors celles d’un monde qui ne sait plus où il va, ni comment il va (‘I don’t feel anything in the modern world‘ chanterait Grian Chatten). Un vrai Sign Of The Times (rien à voir avec Prince, hormis peut-être les atouts de sa production avec ce riff de basse obsédant) qui cherche à comprendre la montée des idées fascisantes à travers la violence présente sur les écrans et les réseaux dont on se débecte comme pour mieux se dire qu’il y a pire ailleurs. Chez les autres, plutôt que chez nous-mêmes. Plus adolescent mais tout aussi percutant, Approchable dévoile le constat qui se cachait derrière toute cette anxiété et cette vision : ‘Damn ! I was born in the wrong era‘. La fatalité comme réponse à l’inadaptation, voire à l’échec de parvenir à ‘faire société’. Le final éponyme dévie, lui, du côté des mélodies insidieuses et des envies d’ailleurs sous des effluves toxiques d’un refrain qu’on jurerait échappé des amplis de My Bloody Valentine. Car c’est souvent un monde âpre, repoussant, qu’il nous faut affronter pour y déceler la beauté. Un peu comme chez DITZ, Model/Actriz ou lors de nos premiers émois avec Idles.
Manifeste d’une génération brisée, réflexion sur le monde du spectacle et son voyeurisme, Come And See nous rappelle forcément ces mots de Ian Curtis dans le Atrocity Exhibition de Joy Division : ‘This is the way, step inside’. Un pas en avant et le monde s’effondre. Mais nous savons maintenant que Gurriers a pris soin de bien tout noter. Que la fête commence.
Photo : Titouan Massé
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