04 Fév 24 Gruff Rhys – ‘Sadness Sets Me Free’
Album / Rough Trade / 26.01.2024
Indie rock
Il y a plusieurs façons d’exprimer sa tristesse. Les démonstratifs infligent à leurs proches des montagnes russes émotionnelles. Les mélancoliques la portent comme un poids dans leurs poches imperceptible de l’extérieur et auquel ils se seraient habitués. Gruff Rhys est de ceux-là, sa tristesse tient à un quelque chose de touchant dans sa voix. Elle ne l’a jamais freiné pour sortir des albums dans cette étrange langue qu’est le gallois ou accompagner Damon Albarn dans ses aventures africaines. Non, elle est peut être même un moteur. Alors, quand il nomme le dernier effort de sa vertigineuse discographie Sadness Sets Me Free, on a du mal à le prendre comme une libération soudaine vers un bonheur absolu.
Peut être n’est-ce que le souhait d’une libération, comme semble le souffler le premier morceau éponyme sonnant comme une prière calme et sereine aux allures honky-tonk. ‘Set me free from my vain and selfish ways’ chante-il en chœur avec Kate Stables de This Is the Kit. À moins qu’il ne s’agisse d’une allégeance à ce sentiment ancré en lui, mais aussi présent partout où on regarde. La tristesse l’inspire, nourrit son besoin de découverte et d’innovation, alors qu’elle provoquerait plutôt l’inverse chez le commun des mortels. Elle se cache dans l’apparente jovialité de certains morceaux. Ainsi They Sold My Home to Build a Skyscraper évoque la destruction de lieux de culture pour laisser place à des immeubles luxueux, une gentrification qui se fait en douceur, sur des airs de bossa-nova.
Cet éclectisme pouvait paraître brouillon à l’époque lo-fi de Super Furry Animals, mais tout est désormais sous contrôle, comme le prouvent les morceaux Peace Signs ou Celestial Candyfloss où piano, cordes, cuivres cohabitent dans la joie et la dérision, jamais très loin dans les compositions du gallois. L’orchestration est donc d’une grande justesse, l’équilibre est parfait, à l’instar du tout aussi parfait Babelsberg paru en 2018. Ces deux albums ont en commun d’être vierges de toute sonorité synthétique, que Gruff Rhys eut pourtant plaisir à utiliser dans le passé. Cover Up the Cover Up s’en prend ouvertement à la monarchie et au gouvernement britanniques, c’est un appel à la révolution velouté, il n’est pas certain qu’il se propage tel une trainée de poudre.
Mais ce n’est pas vraiment dans un rôle d’incendiaire qu’on l’attend. Avec cet album, Gruff Rhys démontre une fois de plus sa capacité à se renouveler année après année, et à écrire des chansons quasi parfaites. Bien que Sadness Sets Me Free soit finalement assez simple et classique, il est réconfortant, revigorant, et fait du Gallois cet ami qui passe une fois par an vous bousculer dans votre routine. Et quand l’ultime morceau I’ll Keep Singing vient répéter ‘Sadness Sets Me Free’ comme un gospel magnifique et cosmique, le message s’éclaircit soudain : non à la tristesse morose, oui à la mélancolie joviale !
Pas de commentaire