Grive – ‘Grive’

Grive – ‘Grive’

EP / Schubert Music / 19.02.2021
Slowcore tellurique

Grive est un oiseau patient et rare. Réunir dans un même cosmos Agnès Gayraud (La Féline), porte parole d’une pop française aussi élégante qu’exigeante, et Paul Régimbeau (Mondkopf), non moins exigeant mais chantre d’une électro sombre et dense, semble au départ assez improbable. Pourtant, cet admirable premier EP explose barrières et clichés à coups de riffs ravageurs et d’envolées abrasives.

Car Grive est aussi un oiseau moqueur, et se complait à réduire en charpie les préjugés dans lesquels les deux protagonistes auraient pu être enfermés par leurs projets principaux. Ce qui les réunit ici, c’est bien leur culture musicale commune, de Manset à Low, de la chanson au doom, le besoin de voler librement dans toutes les directions, et le plaisir de trouver en l’autre la source de sa propre inspiration. Finalement, le duo se trace un chemin singulier, en choisissant l’anglais, et mêlant avec virtuosité un sens mélodique inouï et la rage abrasive et saturée de la guitare et du drone.

Dès les premières notes de Cold, on reconnaît la marque des deux artistes, une basse continue, puis des nappes synthétiques surplombant et canalisant une matière pop intranquille. On retrouve ainsi la tension de Mondkopf et le symbolisme fiévreux de La Féline. Les deux univers s’imprègnent l’un de l’autre, la fusion est parfaite. Pas de doute, Grive n’est pas artificiel, la complicité et la complémentarité sont évidentes et se confirment au fil des quatre titres. Kingdom, passée son intro de comptine obsessionnelle, acquiert une rythmique martiale s’enfonçant inexorablement dans un doom shoegaze. L’effet live est enivrant, comme ce chorus désespéré surnageant ça et là dans les paquets de riffs dévastateurs, avant que le chant reprenne le contrôle de cette envolée magistrale.

Tout l’inverse de Burger Shack, où l’explosivité est contrôlée par la voix, traînante et mélancolique, dans une irrépressible montée de puissance granuleuse et saturée. L’ensemble acquiert une densité étouffante, car l’écho du chant n’échappe jamais à la pression infligée par les drones. La maîtrise de la tension est remarquable, qui ne s’apaise pas sur le dernier titre, Coal Mine, aux accents pourtant plus psychédéliques. La guitare alternativement rugueuse et déliée, la rythmique blues puissante et retenue, la réverbération, la saturation de l’espace sonore sur lequel plane pourtant, très claire, la voix d’Agnès Gayraud, évoquent sans détour le savoir-faire de Brian Jonestown Massacre, et nous laisse essoré au bout de ses presque huit minutes.

Ce premier EP de Grive affiche la maîtrise d’une collaboration vieille d’une dizaine d’années maintenant. Les sessions qui ont mené à cette production datent de quelques années, et les collaborations entre Paul Régimbeau et Agnès Gayraud sont plus anciennes encore, depuis le remix de Three Graces dès le premier album de La Féline, qui pose ensuite sa voix sur les projets de Mondkopf. L’évidence d’un projet commun apparaît lors d’une reprise de Comme Un Guerrier, de Manset. Puis, paradoxalement, c’est ‘grâce’ au coup d’arrêt de 2020 que Grive a retrouvé toute son amplitude. Maintenant que le groupe a pris son envol, son chant n’a pas fini de nous faire vibrer.

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