Gorillaz – ‘Humanz’

Gorillaz – ‘Humanz’

Album / Parlophone / 28.04.2017
Grime – hip hop – club music

Il serait difficile de prétendre le contraire : chaque nouvel album de Gorillaz est assurément un événement. Le projet multimédia, fondé il y a quinze ans par Damon Albarn (musique) et Jamie Hewlett (graphisme), a largement mérité d’être considéré comme l’un des concepts musicaux les plus ludiques et innovants des années 2000, tant par la qualité de son contenu que par sa faculté à fédérer un large public. De plus, il faut l’admettre, Gorillaz n’a jamais été un banal groupe de musique, dans sa composition – personnages animés façon cartoon – comme dans sa manière de promouvoir sa musique. Véritable rouleau compresseur commercial, au marketing parfaitement ficelé qui n’a d’égal que l’interminable attente ressentie par ses fans, il pouvait jusqu’alors compter sur un contenu artistique brillamment maîtrisé, permettant au groupe de jouir de l’encensement général reçu.

Au delà d’être une des plus grosses déceptions de 2017, ‘Humanz’ marque à sa manière, et sur un bon nombre de points, le véritable premier déclin de l’histoire du groupe. Ce quatrième disque – le cinquième si l’on considère ‘The Fall’ comme un chapitre à part entière – avait beau être attendu sans qu’on sache à quoi s’attendre, il marque en effet un tournant dans la mécanique et les habitudes qu’avait jusqu’alors Gorillaz, et laisse apercevoir pour la première fois un certain nombre de faux pas révélateurs.

Sur le papier, le casting cinq étoiles confirmé par Albarn en mars dernier avait de quoi faire rêver, l’accent ayant principalement été mis sur les stars et valeurs montantes du hip-hop et R’n’B mondial actuel. Il est évident que pouvoir réunir sur un même album des artistes tels que Vince Staples, Danny Brown, Kelela, D.R.A.M., Popcaan, Pusha T ou encore Kali Uchis relève de la prouesse et force le respect (même quand il s’agit d’impressionner sa propre fille). Pourtant, et même si le groupe a toujours été habitué à cet amas de featurings aussi incroyables qu’éclectiques, l’histoire a prouvé que le concept devait primer sur les participants. Gorillaz est certes un métissage, des rencontres, une certaine idée du fun et du partage, mais c’est avant tout un groupe musical avec une tête pensante : Damon Albarn, qui demeure à ce jour la seule constante, le véritable point de référence et de comparaison lorsqu’il s’agit de discuter de la discographie du projet. Malheureusement, il est ici complètement écrasé par le poids de ses invités, dont la qualité – rappelons le – n’est absolument pas remise en cause.

Jusqu’à présent, tous les éléments externes – musicaux ou autres – invités à participer apportaient une pierre de plus à l’édifice érigé au fil des années par un Damon Albarn absolument parfait dans son rôle de chef de chantier. Pour exemple, à l’époque, quand Mos Def ou encore Little Dragon le rejoignaient en studio lors de la conception de ‘Plastic Beach’ – on vous invite à aller visionner le making of – il leur présentait un concept, des instrumentaux, et ces derniers se retrouvaient propulsés dans un univers animé, au delà de leur zone de confort. Aujourd’hui, l’Anglais ne tient plus les rênes : chaque morceau est calibré et conçu dans l’esprit et la musicalité de l’artiste invité, mettant ‘Humanz’ au diapason de la musique actuelle, et faisant de la référence / inspiration Gorillaz un groupe quelconque. C’est d’ailleurs ce manque flagrant d’inspiration qui frappe dès la première écoute et qui, par effet domino, entache le songwriting si précieux d’Albarn, ici à son plus faible niveau, bien trop accaparé par ses invités et son amour grandissant des nouvelles technologies.

Au final, un disque sans émotion, sans fun, à l’esthétique robotique et aux sonorités quasi exclusivement électroniques, à l’ambiance sombre mais probablement pas assez pour réellement intriguer l’auditeur. Sans non plus des singles notables ou morceaux vraiment dansants, ce qui est nettement dommageable pour un disque qui se voulait dark mais festif dans le fond, et qui tendait à vouloir réunir les gens pour qu’ils s’aiment (la boulette de Jehnny Beth sur ‘We Got The Power’ rappelant l’anecdotique mort de Marion Cotillard dans le film ‘Dark Knight Rises’). Sur le nombre disproportionné de pistes contenues ici (20 sur la version normale, 26 sur la version Deluxe), peu d’entre elles méritent sincèrement d’être citées tant elles peinent à rentrer dans l’esprit, et ce même après de nombreuses écoutes. On gardera en mémoire l’entame ‘Ascension’ (featuring Vince Staples), entraînante malgré tout, comme ‘Momentz’ avec les fidèles De La Soul qui n’en sont pas à leur première collaboration avec le groupe animé. Et pour finir, le sombre et étonnant ‘Charger’ avec la reine de la nuit Grace Jones. Bien que non exceptionnels, tous trois représentent l’idée que nous nous faisons de l’esprit du projet.

Avec un disque faisant la part belle à la quantité plutôt qu’à la qualité, Gorillaz tombe tristement dans les travers du blockbuster, mais ne trompe pas. Le casting aussi flamboyant qu’étouffant, qui séduit très peu par son apport artistique, semble avoir puisé les dernières ressources créatives du duo, faisant de ‘Humanz’ un album aussi vide qu’un programme électoral contentant ceux qui s’attachent au packaging plutôt qu’au contenu. De plus, Albarn a – depuis la conception de ‘Plastic Beach’ – fermé la porte aux producteurs extérieurs. Peut-être a-t-il ainsi perdu tout recul sur son œuvre, un recul qui aurait été nettement souhaitable au vu des mauvaises décisions cumulées ici, et qu’il semble vouloir faire oublier en multipliant les partenariats commerciaux (Sonos, Red Bull, Telekom Electronic Beats, Pandora, etc). Certes Gorillaz est aussi une marque désormais, mais son seul nom ne peut empiéter sur ses propres fondements : la créativité et le fun. Damon Albarn devra donc rapidement choisir entre patron d’entreprise ou leader musical, la seconde option étant celle qui jusqu’à présent lui allait le mieux.

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A ECOUTER EN PRIORITE
‘Ascension’, ‘Momentz’, ‘Charger’, ‘Let Me Out’


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