Goat – ‘Oh Death’

Goat – ‘Oh Death’

Album / Rocket Recordings / 21.10.2022
Rock chamanique

Les shamans suédois sont de retour, et leurs incantations vont encore réveiller les spectres qui sommeillent en nous. Qu’on se le dise, la magie opère toujours aussi bien, et la cérémonie à laquelle nous convie Goat dans les stances de Oh Death, ne nous laissera aucun répit.

Groupe inimitable et incomparable, Goat ne peut laisser indifférent. D’ailleurs, depuis ses débuts, un schisme s’est créé. D’un côté, les dissidents qui  trouvent que sa musique est au mieux un savant (pénible) fouillis d’où émerge une voix perchée éructant des paroles cryptiques impossibles à supporter plus d’une minute. Ceux-là peuvent directement écouter Blessings et Passes Like Cloud car, hormis dans ces deux dernières pistes du nouvel album, il n’y a pas vraiment de nouveauté dans le matériau.

Pour les autres,  les fidèles dont on croit souvent l’admiration indéfectible surjouée, il y a encore matière à se réjouir et additionner les superlatifs à l’écoute de cet album. D’ailleurs, pour ce qui est des superlatifs, Goat, qui manie le mystère aussi bien que l’humour, se les sert avec assez de verve pour s’épargner les nôtres, s’auto-proclamant ‘formidables guerriers psychiques, canalisateurs du mysticisme et partisans d’une quête spirituelle qui transcende cet Univers’. Tout est dit : on a affaire à des fous furieux.

Avec ces suédois, ceux qui ne restent pas à quai sont embarqués dans une fascinante odyssée, avant même d’entendre les premières notes. Oh Death interpelle tout d’abord par sa pochette, sorte de conflit visuel trash qu’on ne peut envisager que sous substance. Cette longue passerelle de jambes en rappelle d’ailleurs une autre, le rêve psychédélique du Dude dans The Big Lebowski. C’est dire le niveau de bizarre auquel on s’attend.

Mais l’étrange vertige qui entoure ces scandinaves vient avant tout des membres eux-mêmes. Ce n’est pas le premier groupe à avancer masqué, sous le prétexte de protéger l’égalité de chaque membre, l’unité d’un propos. Mais les suédois font de leur anonymat une religion, et le seul moyen de conserver leur liberté. On ne saurait dire exactement de combien de musiciens exactement le collectif est composé, il avoue une certaine versatilité dans ce domaine. Tous se veulent originaires du village isolé de Kopilombolo, tout près du cercle arctique, réputé pour ses sorcières, et héritiers de nombreux autres groupes qui depuis des générations se faisaient déjà appeler Goat. Ajoutons que leurs parures, comme la plupart de leurs instruments, sont des artefacts de cérémonies traditionnelles, et il est alors tout indiqué de se méfier des envoûtements que pourrait receler leur musique. 

Si envoûtement il y a dans la musique de Goat, il est à chercher dans la fusion parfaite que le groupe réussit à renouveler depuis dix ans, qui fait s’entremêler sans heurt ni apparente contrainte le heavy metal et la musique folklorique, dans un groove inoxydable. De grands riffs héroïques distordus appuyés sur un roulement de basse destructeur (Soon You Die), la tribalité des cordes métalliques posées sur une percu traditionnelle (Chukua Pesa), un gimmick de guitare funk (Under No Nation) qu’on attend plus volontiers chez Khruangbin, une rythmique tribale pour danser autour du feu et des inflexions de voix rappelant celle de Bjork (Do The Dance)… Tout le début de l’album expose l’auditeur à un savoir-faire vertigineux, lié par des incantations suraiguës ou éraillées, et de la réverbération à outrance. 

Cette musique caméléon et combinatoire est tellement maîtrisée qu’on se dit que le collectif pourrait encore, dans les dix ans à venir, continuer d’assembler les éléments entre eux sans jamais nous lasser. La seconde partie de l’album est beaucoup plus apaisée. A la suite de Apegoat, intermède où chaque sorcier souffle et tape dans son instrument pour se reconnecter, l’enchaînement Goatmilk-Blow The Horns nous emmènerait volontiers vers Brooklyn dans ses accents de funk cuivré, mais comme rien n’est jamais acquis avec Goat, la flûte entêtante, puis le rythme ondoyant sans effort entre motifs gnawa et caribéens, nous rappelle que nous écoutons le monde entier d’une seule oreille.

La tentation exotique persiste sur les modulations de Remind Yourself, tandis que les guitares reprennent une dernière fois les devants. L’enchaînement avec l’écho du piano seul de Blessings est divin, et c’est apaisé que le groupe clôt le disque, dans l’infinie délicatesse du jam de Passes Like Clouds. Et dans ce ciel, enfin, nous entendons la pluie syncopée, le murmure du vent, et en fermant les yeux, nous atteignons enfin ce nouveau stade de perception où les shamans voulaient nous emmener. Au-delà de toute magie, Oh Death, cet enivrant livre des morts, ressemble à une aurore boréale.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE

Soon You Die, Under No Nation, Goatmilk, Blow The Horns, Passes Like Clouds


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