14 Oct 24 Geordie Greep – ‘The New Sound’
Album / Rough Trade / 04.10.2024
Rock prog
Combien de temps faudra-t-il avant qu’un réalisateur envisage de confier un projet de comédie musicale à Geordie Greep tant ce dernier se montre convaincant dans son instrumentation comme dans son phrasé limpide et singulier ? A la mi-août, le chanteur et guitariste de black midi annonçait brusquement que le groupe londonien n’était plus, pour une durée indéterminée au moins : une déclaration lors d’un live Instagram qui a même surpris les autres membres de la formation, le chanteur venant briser l’accord commun d’une séparation discrète et silencieuse. Pour mieux dévoiler The New Sound, premier album d’une escapade solo elle aussi à durée incertaine ?
Si une partie des fans de black midi risque d’être fortement décontenancée par l’extravagance de son écriture et de ses compositions, The New Sound est un concentré d’audace sans compromis. Greep nous trimbale partout en même temps, multipliant les directions artistiques, et empêchant par la même occasion toute catégorisation possible de son disque. A l’image d’un Frank Zappa et de son Hot Rats, il tente – avec succès – de se placer au-dessus des genres, s’orientant à la fois vers le progressif que la bossa nova, sans oublier les influences de jazz – free-jazz ; avant-garde – et ses origines punk. Il en résulte un joyeux bordel déstructuré, à la richesse inépuisable, un monde complètement fantaisiste et délirant d’inventivité, une œuvre dense, exigeante et déconstruite prenant autant des airs de chef-d’œuvre intemporel que des relents d’excès. L’Anglais avait affirmé qu’il souhaitait ‘composer autant de chansons d’amour bizarres et grotesques que possible‘ : pari réussi si l’on en croit l’étrangeté de ses compositions et les grivoiseries décrites dans ses morceaux.
L’album s’ouvre sur Blues, suite logique de Hellfire, dernier projet de black midi paru deux ans plus tôt. On y retrouve le son typique du groupe, ses guitares saccadées ultra rapides et le phrasé crooner de Greep. En live, le morceau prend une autre dimension. Durant son show donné à TV Eye et disponible sur sa chaîne YouTube, Geordie Greep prend des airs de grand gourou extravagant à mesure qu’il déblatère son deuxième couplet, tandis que ses musiciens délivrent une performance remplie de tension proche de l’avant-garde oppressante du groupe britannique Henry Cow. On retrouve la patte black midi une seconde fois un peu plus tard, sur Motorbike. Le ton est cette fois-ci donné par Seth Evans, véritable bras droit de Geordie à la production. Sa voix n’en est pas moins convaincante, plus chaude, et permet surtout d’instaurer une brève interruption avec le phrasé intensif de Greep. Le titre tend graduellement vers du progressif bruitiste, offrant probablement la plus grosse déflagration d’énergie de l’album et présentant une certaine proximité avec les morceaux les plus remuants de King Crimson – Starless en tête.
Une autre partie de l’opus – comprenant Through a War, The New Sound, Terra et Bongo Season – adopte une teinte plus lumineuse tant elle s’oriente davantage vers la bossa nova et les improvisations free-jazz. A l’écoute du titre éponyme, véritable bijou rythmique, on pense notamment aux longues plages éclatantes de Pat Metheny et aux envolées vocales de Robert Wyatt. Enfin, le sommet de l’album est sans conteste atteint avec As if Waltz, monument de justesse grouillant d’idées. Sa construction est surprenante, alternant entre rock et musique de chambre. Geordie y conte avec tendresse et innocence la passion à sens unique qu’il développe pour son escort-girl, très semblable au destin tragique que Dino Buzzati offre à son personnage Antonio dans son roman Un Amour (‘To pretend I’ve more to say to you than, ‘How much?’ / To pretend we’ve more to do together than fuck‘).
Il y a deux ans – alors que nous concluions notre chronique de Hellfire avec le postulat suivant : ‘on veut bien croire que les déclarations sur la supériorité des génies face au petit peuple dans ses chansons sont plus le fait des personnages maudits et grotesques qu’il (Geordie Greep) incarne que le sien. […] Vu le solipsisme qui pourrait commencer à menacer l’entreprise black midi, on espère que le groupe saura diriger son embarcation vers des eaux un peu moins obscures’ – nous ne nous attendions peut-être pas à viser aussi juste. Malgré sa récente indépendance, Geordie Greep transpire toujours l’extravagance et l’autocentrisme, comme en témoigne le thème principal de son écriture : l’obsession de soi-même et de son image. Son attitude vis-à-vis de sa séparation avec black midi en atteste également. Son ex-compère Cameron Picton ayant réagi spontanément à ses déclarations en annonçant dans la foulée qu’il travaillait également sur des enregistrements solo, voir les deux artistes prendre des chemins différents et construire leur carrière presque en opposition nous excite particulièrement. A voir maintenant comment Picton se positionnera après la sortie d’un pareil disque…
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