03 Juil 23 Geese – ‘3D Country’
Album / Partisan / 23.06.2023
Rock
Peu de temps avait suffit à la jeunesse de Geese pour se voir dérouler, dès 2021, le tapis rouge de la renommée. Signature sur Partisan, couverture médiatique conséquente, tournée des deux côtés de l’Atlantique : c’était le retour de l’antienne bien connue d’un groupe à peine sorti de l’adolescence et qui se voit surexposé, plébiscité et encensé à la faveur d’une poignée de singles inventifs et remuants. Et après ? Retour au calme, à l’obligation de digérer le succès tout en se promettant de ne pas conjuguer celui-ci au passé. Début 2023, les gamins d’hier sont devenus de jeunes adultes et alignent trois singles séduisants, mais déroutants, en préambule de leur nouvel album, 3D Country. Cowboy Nudes puis 3D Country, aux sonorités et choeurs deep soul, donnaient l’impression d’avoir été enregistrés à Muscle Shoals, le mythique studio en Alabama, et permettaient aux New-Yorkais de prendre leur distance avec les aspects anguleux et tranchants de Projector, tout en conservant de celui-ci le refus de la linéarité et des formules toutes faites. Mysterious Love, par la suite, rebattait les cartes par la violence de ses refrains, assez proches de Fidlar, avant de basculer dans une fausse accalmie contemplative, régulièrement striée par des décharges électriques.
On se doutait bien, au moment du premier album, que le groupe avait des possibilités, mais on le voyait plutôt s’installer durablement dans la tradition bien balisée du post-punk new-yorkais, teinté de funk cérébral. Mais 3D Country montre brillamment comment de jeunes musiciens peuvent prendre des risques pour être à la hauteur de l’exigence créative : côtoyer la country, la soul, voire même le hard rock et le rythm and blues, n’était pas ce que l’on attendait forcément de Geese, mais le résultat – loin du cliché – révèle l’intelligence et l’audace du groupe qui, tout en donnant à chaque fois l’impression de basculer dans un genre, déstructure celui-ci au dernier moment pour emmener le morceau dans une autre direction. 3D Country oscille ainsi sans cesse entre le désir de séduction immédiate et le souci de générer de l’inconfort, et la voix de Cameron Winter, particulièrement impressionnante, rend compte parfaitement de cette dualité : elle donne à la musique du groupe son ampleur et sa chaleur, mais la déchire également en permanence par ses accès crédibles de violence.
Les morceaux ont tous une base mélodique très accrocheuse, et l’on ne serait pas loin d’y voir un net progrès par rapport à Projector, mais tout est fait, en réalité, pour que l’on ne s’y accroche pas, ce qui revient, régulièrement, à expérimenter des formes de déséquilibre, de trouble, d’instabilité. Dès l’entrée en matière de 2122, le petit jeu commence : on croit être entraîné par un lourd groove rock/funk à la Rare Earth pour, au milieu du morceau, assister à sa désintégration et à l’émergence d’une inquiétante propension au chaos. Il y a certes des morceaux moins perturbants et apparemment plus conventionnels dans leur déroulement, comme Crusades, mais le propos (la foi et son aspiration à la transcendance) ainsi que ses notes finales montrent que la légèreté mélodique peine à contenir une menace réelle (la fureur du croisé). Geese brouille constamment les frontières entre l’illusion et le réel, les effets sensibles de ce que l’on écoute ne correspondant jamais véritablement avec sa signification, comme avec I See Myself qui donne d’abord l’impression d’être une chanson d’amour assez prévisible mais qui, juste avant de se terminer, ajoute à un refrain assez mièvre (‘I see myself inyou…’) une chute dévoilant toute l’ironie du morceau (‘…in my mind’). De l’ironie, il y en a beaucoup sur ce nouvel album, et cela accompagne une conscience aiguë de l’incertitude et de la violence du monde, qui atteint son point culminant avec les visions apocalyptiques d’Undoer.
3D Country permet à Geese de faire évoluer sa musique en évitant le double piège de la répétition stérile et de l’innovation radicale. Lucide par rapport au monde et par rapport à lui-même, ludique dans l’expression de ses moyens, le groupe peut se permettre de symboliser les incertitudes d’aujourd’hui sans rien sacrifier du plaisir immédiat qu’est censé délivrer un album de rock. Assumer une telle ambiguïté, en faire un élément central de son identité, montre que Geese n’était pas une sensation post punk éphémère mais bel et bien un dense agrégat de forces artistiques ayant pour vocation de se déployer dans la durée.
A ECOUTER EN PRIORITE
2122, 3D Country, Cowboy Nudes, Undoer, Mysterious Love
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