Garciaphone – ‘Ghost Fire’

Garciaphone – ‘Ghost Fire’

Album / Microcultures / 08.11.2024
Folk

La pochette de Ghost Fire est une peinture d’Olivier Perez, fondateur de Garciaphone. Elle annonce le maintien des vapeurs oniriques qui semblent structurer l’esthétique du groupe, sept ans après Dreameater, par le biais d’une image dont la parenté avec les dessins de Victor Hugo fera finalement sens à l’écoute de l’album.

Une parenté de lettres, déjà. Il suffit de lire ses textes pour comprendre que le lien de Perez à la poésie est marqué. Tout est ciselé ici, le songwriter manie l’anglais comme un natif et son aisance lui permet d’en tirer une expression poétique naturelle quand, chez d’autres groupes francophones, le choix de la langue de Shakespeare peut parfois interroger…
Une parenté pour son attachement au spectral et à l’indicible, également. Dès l’introductif Aloha He, le décor est planté, on erre dans une réplique de musée en construction. La voix, d’une proximité déconcertante, vient s’accrocher au nylon des guitares, et l’ambiance feutrée a quelque chose de profondément apaisant et pacifique. Derrière, sourd à contre-temps une guitare en quasi-larsens contrôlés, glissant à la manière d’un lap steel pour faire écho à la référence hawaïenne du titre. Comme un bruit venu des profondeurs, une présence, une tache qui viendrait nous prévenir de ne pas nous laisser aller à l’apaisement général.

Someone Else’s Dreams souligne ensuite les capacités d’orchestration offertes par la horde de multi-instrumentistes oeuvrant au sein de Garciaphone, tous issus de multiples projets parallèles (Olivier Perez accompagne Elysian Fields à la batterie, Mocke a joué avec Arlt ou Chevalrex, Clément Chevrier est issu du Delano Orchestra, et Zacharie Boissau de Zak Laughed). La fin du morceau part dans une jam savamment équilibrée, et l’on songe aux récents albums de Callahan ou le folk des grands territoires vient titiller des phrases musicales aspirant aux étendues plus ouvertes encore du jazz. La liste des instruments démontre l’amplitude du champ d’action et le goût des membres pour les arrangements singuliers : claviers, violoncelle, vibraphone, saz, bouzouki, zither… Il y a un amour des sonorités et de la production maitrisée qui se devine rapidement tandis que les compositions s’enchainent.

On pourrait traduire le titre suivant en ‘Défoncé à l’amour conditionnel’ (High On Conditionnal Love), ou comment faire tenir en quatre mots tout un jeu d’opposition et de sentiments contradictoires. C’est ce qui semble bouillir au fil des compositions du collectif : maintenir une écriture qui flirte avec le calibrage pop sans s’empêcher des plaisirs jubilatoires. Ainsi des solos distordus et sons synthétiques sur Weathercocks, dont les accents quasi gallinacés semblent encore une fois faire écho au titre (girouette), nous rappellent au passage les délires des débuts de Why? quand, sur Darla, les américains singeaient les cris matinaux du coq en scratchant.

Il y a aussi du Andy Shauf chez Garciaphone, à ceci prêt que le canadien jamme seul, mais l’on retrouve chez les deux la mélancolie sourde, la production irréprochable, les arrangements feutrés et inattendus, une singularité de la voix, assurément l’atout principal du groupe. Celle de Perez reste en tête, et son timbre convoque l’addiction des alcools qu’on va s’ouvrir pour une belle occasion. Après tout, ce n’est pas tous les mois qu’un folk de cette envergure, qui n’a rien à envier aux songwriters les plus fins d’outre Manche ou Atlantique, sort sur un label indépendant hexagonal. L’écoute d’un titre aussi saisissant que My Genes And Education devrait de ce point de vue suffire à mettre d’accord les plus sceptiques.   

L’album a beau être court (trente minutes tout juste), sa charge émotionnelle concentrée ne faiblit pas jusqu’à la fin. Better and Better nous ramène, par analogie territoriale, aux meilleurs titres d’un Syd Matters, dans un équilibre parfait entre refrain entêtant (celui-ci ne vous lâchera pas) et mélanges de guitares rythmiques, de cordes et de percussions au pouvoir hautement planant et extatique. Le vague à l’âme du timbre de Perez crée ici encore un contrepoint, une contradiction, comme une mise en doute de ce qui est dit, multipliant l’impact du refrain. Dans un monde idéal, ce titre tournerait en boucle sur toutes les radios, tant il est empli d’euphorie et de mélancolie.

Le disque se clôt par le parfait Heard of the Ermit, qu’on jurerait autobiographique, tant cet album donne l’impression d’avoir nécessité un isolement et une longue maturation pour arriver jusqu’à nous. Il donne envie de prolonger le plaisir en allant écouter le groupe en live au plus vite, et de profiter in vivo des atmosphères intimistes de ce qui restera comme la très belle surprise folk de cette fin d’année.

Photo : Delphine Granda

ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Conditional Love, My Genes And Education, Better And Better, Heard Of The Hermit

EN CONCERT

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