05 Sep 23 Frankie & The Witch Fingers – ‘Data Doom’
Album / Reverberation Appreciation Society / 01.09.2023
Punk psyché
Sous une torpeur estivale, le soleil déverse à torrent dans le fief californien des Frankie and The Witch Fingers. Campés dans le studio, ils contemplent impavides les paysages cramés de Los Angeles. De bourlingages en performances sauvages, ils ont entrevu une certaine composition de l’état du monde et le tableau est peu reluisant. Un horizon dystopique peuplé d’humains entravés leur fait face. Chargés de teintes froides et délavées, ses reliefs bâtis de milliards de données semblent infranchissables. Entre quatre murs, le quatuor pense aux fosses de ses concerts, saturées de silhouettes agiles nouées et fumantes. Une beauté créatrice et pulsionnelle y règne, du genre à redonner espoir. Cette puissance du lien, ils la portent dans leur sang, elle transpire dans leurs jams incessantes. Prêts à affronter les miasmes d’une société et d’un futur qui toque à la porte, ils décident de plonger en naufragés volontaires. Ensemble, ils s’ébrouent face à l’inexorable, expulsent un rock plein d’acide psychédélique et passent à l’attaque ! Savants fous, ils composent en open source, chaque membre du groupe écrit son bout de code, enkyste sa vision dans les partitions. En ressort Data Doom, un album radioactif saturé de riffs, destinés à faire tonner les tympans. Le LP chargé en funk survitaminé navigue dans un univers science fictif rétro, des fournaises du psychédélisme aux constellations corrosives du Proto Punk. Laissez les mélodies et grooves de batterie vous prendre par la main, plongez dans une course effrénée sur les versants abrupts de L.A, maintenue en équilibre par vos quatre indéfectibles alliés Dylan Sizemore, Josh Menashe, Nikki Pickle et Nick Aguilar.
Les neufs titres aux allures d’épopées spatiales se parcourent comme un flux de créativité libérée. Ils serpentent d’une guitare staccato à des harmonies dynamiques, auréolées d’un large spectre de sonorités, pulsées par le pedalboard richement équipé de Josh Menashe. La présence de Nick Aguilar, ancien batteur de Mike Watt, vient renforcer les compositions. Sa batterie nette percute dans le mix, les caisses claires claquent, ancrent le rythme en colonne vertébrale. Elle laisse se déployer autour d’elle les guitares, la basse profonde de Nikki Pickle, ancienne membre des Death Valley Girls et les envolées sporadiques de saxophone. Dylan Sizemore passe d’une voix psyché proche de celle de John Dwyer à un chant plus clair employé sur certains refrains.
L’album s’ouvre sur Empire, il s’étire dans le temps, emploie des changements de tempo aux allures de jetés dynamiques. Au dernier tiers s’enclenche un dialogue au chant habillé de cœurs groovies et d’une guitare lancinante. La batterie en mouvement boxe en fond, insaisissable. Blast sonore du disque, Electricide est une fureur de riffs brise-nuques, de distorsions et de vocalises. Son solo flirte avec le Punk et le Trash, il enverrait la tête des Stiff Richards dans les étoiles. Sur Weird Dog, le saxophone colore l’intro d’une note jazzy et l’ambiance s’électrise, les notes de guitare y sonnent perçantes, comme des regards de travers. Le tout évoque une course poursuite à la chorégraphie endiablée, un épisode de Cowboy Bebop avec Dylan en narrateur épris par l’action. Ce garage hyper groovy noue parfaitement des éléments jazzy, Funk et Proto Punk avec des influences marquées de la scène psychédélique australienne. Un cocktail rock’n’roll à l’odeur de mezcal acidulé qui donne sa saveur à Data Doom. Mild Davis, clin d’œil à la période seventies de Miles Davis, est la figure de proue de cet état d’esprit. Composé en 7/4, le titre se dandine autour d’un riff de basse galopant, distille avec art les contrepoints et fait s’entrecroiser les rythmiques dans un désordre chorégraphié.
Ce septième album est un pas vers le mouvement, un condensé de musique véloce qui rappelle le travail d’un Slift. Jamais fixe il fait sonner les différentes réflexions du quatuor quant à notre société, avec sérieux mais second degré, dans une découverte tâtonnante de concepts et de sonorités. Dylan, Josh, Nikki et Nick refusent la paresse. Ils colmatent les temps, composent et grattent des mélodies obliques pour les faire exploser sur scène. Emportés par le son, les esprits épousent un temps les quotidiens de fer et de béton, y font surgir l’étrange et l’enrichissant. Après la pluie, le soleil brille dans les trouées des chemins, et Data Doom risque bien de faire jaillir un puissant éclat de lumière dans la tête de rockeurs en désir de fête.
A ECOUTER EN PRIORITE
Empire, Electricide, Weird Dog, Mild Davis
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