
19 Juin 25 Frankie And The Witch Fingers – ‘Trash Classic’
Album / The Reverberation Appreciation Society / 06.06.2025
Garage psyché
En 2023, Frankie and The Witch Fingers avaient eu la mauvaise idée de sortir Data Doom un 1er septembre, ce jour sinistre marqué par l’approche de la rentrée et la fin des apéros face à la plage. Une vraie honte, tant leur musique – trottant entre garage psychédélique et synthés cyberpunk – est parfaite pour faire sautiller les foules et zigzaguer les bagnoles. Il aura donc fallu attendre le 6 juin 2025 pour que le quintet mené par Dylan Sizemore lave l’affront avec Trash Classic, un nouvel album dystopique qui porte parfaitement son nom.
Le postulat est simple : chaque année, le monde glisse un peu plus dans la folie et la décrépitude. Nous vivons dans des brèches d’apparente tranquillité qui rétrécissent avec le temps. Alors, comment réagit un groupe de rock déchaîné face à ce tableau ? Il pousse les curseurs à fond. C’est ainsi que se présente Trash Classic : un renouveau sonore, où le groove de Data Doom passe en arrière-plan pour laisser place à un tempo plus intense et déconstruit. Ce mouvement – qu’on percevait déjà sur des titres comme Electricide – s’affirme ici avec l’arrivée de Jon Modaff aux synthés. Cette nouvelle configuration ajoute des textures futuristes aux compositions, versant parfois dans un bruitisme survolté. Les guitares ne sont plus les seules à assaisonner les morceaux, même si les riffs continuent de pleuvoir avec l’efficacité et la variété qu’on connaît à F&TWF.
Avec deux idées en tête – pousser plus loin les codes du garage psyché via des claviers robotiques et casser la structure des morceaux pour injecter surprise et explosivité, le groupe attaque fort. Après l’introduction de Channel Rot, T.V. Baby n’en finit jamais d’accélérer, porté par un riff de guitare frénétique et une énergie galopante. Ce morceau fait le lien entre l’ancienne et la nouvelle formule. On reste dans le même univers, entre humour loufoque et satire de la société sous tempo dopé, mais les claviers gagnent en puissance et occupent désormais le premier plan. Le travail sur les sonorités synthétiques, guidé par une nouvelle collaboration avec la productrice Maryam Qudus, offre une belle cohésion dans ce maelstrom rock, tout en conservant le côté crado qu’on aime tant chez les Californiens. Dead Silence, véritable cavalcade théâtrale, expose toute l’étendue de leur palette. Mais c’est surtout le pont au milieu du titre qui attire l’attention : une montée en tension qui explose sur des vocalises féminines mordantes. Ce type de respiration, qu’on retrouve aussi sur Total Reset, casse avec justesse une frénésie omniprésente qui, sans ça, pourrait tourner à l’indigestion sur onze titres. Fucksake, plus dansant et fluctuant, incarne parfaitement l’équilibre entre les synthés robotiques et les riffs incisifs. À mi-parcours, Economy détonne. Dylan Sizemore y décortique les paradoxes d’une société néo-capitaliste en roue libre : surmédication, surconsommation, société du spectacle et aliénation. Les voix robotiques y côtoient des slogans façon 1984, psalmodiés par des chœurs déshumanisés et anxiogènes. Le groove, lui, fait un retour bienvenu sur Conducting Experiments, porté par une basse lourde et chaloupée en ouverture dont le tempo évoque certains titres punk de Split System.
En s’éloignant d’un pas des Osees pour se rapprocher d’un Devo version 2025, Frankie and The Witch Fingers frappent fort. Trop concernés par l’état d’un monde où chaque news ressemble à un mauvais roman de SF, ils choisissent de faire évoluer leur son plutôt que de livrer un Data Doom 2.0. Trash Classic est drôle, bordélique, mais exécuté avec un sérieux indiscutable. La férocité des musiciens, le soin apporté aux textures des cordes, des claviers et de la batterie, montrent un engagement total. On a presque l’impression d’assister à une kermesse de fin d’année : une vingtaine de gamins jouent une pièce absurde et bricolée. Et pourtant, derrière le chaos, on perçoit l’effort créatif et la beauté. Frankie and The Witch Fingers ont beau jouer dans le foutoir, c’est du foutoir maîtrisé, engagé et jouissif.
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