Fontaines D.C. – ‘Skinty Fia’

Fontaines D.C. – ‘Skinty Fia’

Album / Partisan / 22.04.2022
Indie post punk

Home is a pin / Rusting through a map‘. Quiconque a déjà entendu parler de Fontaines DC visualise immédiatement sur quel endroit précis de la mappemonde se trouve ce clou décrit dans Big Shot, issu de Skinty Fia, troisième album du groupe dublinois aujourd’hui exilé à Londres. Il faut dire que Grian Chatten, Carlos O’Connell, Conor Curley, Conor Deegan et Tom Coll nous livrent aujourd’hui un hommage contrarié et ambivalent à leur Irlande natale, mélange de nostalgie pour les lieux de leur jeunesse et de mépris pour les errements politiques et religieux de ses dirigeants – mépris très clairement exprimé dans cette partie vocale intense et rageuse au beau milieu de la protest song I Love You, pièce essentielle de ce nouvel opus. L’affaire du ‘Bon Secours Mother And Baby Home’ du comté de Galway, qui a vu l’establishment du pays fermer les yeux sur les agissements criminels d’anciens dignitaires catholiques séparant de force des enfants nés hors-mariage de leurs jeunes mères (quand ils ne laissaient pas ces mêmes enfants mourir dans un ‘orphelinat’ sordide, et les enterraient en secret autour), a visiblement laissé des traces indélébiles dans la psyché de Chatten : ‘This island’s run by sharks with children’s bones stuck in their jaws‘. Dans quelle autre lettre d’amour pour son pays trouvera-t-on une ligne aussi polémique que ce ‘And I loved you like a penny loves the pocket of a priest‘ ? Ailleurs, le conservatisme anglican n’est pas plus épargné que celui des catholiques. En atteste le premier titre du disque, In ár gCroithe go deo, qui tire son nom d’une épitaphe signifiant ‘à jamais dans nos cœurs’, et que l’Église d’Angleterre a refusé de voir inscrit sur une tombe en 2020, sous le motif que l’irlandais serait une langue trop ‘subversive’. Entre ces deux évènements très symboliques, les désillusions sur l’exil ou le succès s’accumulent en grappes de nuages noirs, au dessus de la chanson qui donne son titre à l’album, ou encore autour de Big Shot, réponse déniaisée à l’optimisme de façade du tout premier hit Big. Quant à la pluie, elle ne semble ne jamais vouloir finir de tomber, que ce soit dans les rues de Londres ou celles de Dublin. Ambiance.

Avec un tel canevas thématique, sombre et désabusé, il n’est en rien surprenant de constater que la musique jouée par Fontaines DC aujourd’hui met globalement l’accent sur des rythmiques plus lentes et sinistres, à la I Don’t Belong. Seules exceptions : le bondissant et enlevé Jackie Down The Line, ou encore un Skinty Fia porté par une assise big beat / dubstep qui surprendra plus d’un auditeur ne s’attendant pas à ce que les irlandais prennent aujourd’hui pour référence le Primal Scream d’XTRMNTR. Mais le vrai tour de force expérimental de ce disque reste bel et bien ce morceau d’ouverture déjà évoqué plus haut, soutenu par une basse électronique rappelant celle MTT 420 RR des copains Idles (coïncidence ou inspiration ?), mais surtout hanté par de funestes harmonies vocales répétant la fameuse épitaphe en question. Alors que cette atmosphère liturgique, en parfaite adéquation avec les paroles, se mue en poignantes notes d’espoir, syncopes drum’n bass et accords plus majeurs se décident soudain à venir fleurir la tombe en question. Claque absolue, cette chanson n’attend que la scène pour devenir le moment de communion spirituelle qui manquait encore aux concerts du quintet irlandais.

Dès ces toutes premières minutes, la voix de Grian Chatten se fait aussi plus ample, histoire de mieux coller à ce propos quasi-mystique. Ces nouvelles capacités vocales lui permettent ça et là d’osciller entre de longues notes graves et des inflexions plus mélodieuses, allant même jusqu’au velours feutré d’un Richard Ashcroft sur Roman Holiday. Dommage que la composition elle-même tourne en rond, comme trop souvent chez The Verve, justement – les arrangements de guitare de O’Connell et Curley restant ici un peu trop plan-plan, sans l’originalité nécessaire qui permettrait de transcender cet essai pop rock. On sait pourtant à quel point Fontaines DC est passé maitre dans l’art de placer la touche de six-cordes qui emmène ses autoroutes vers des cieux inattendus, toujours évocateurs. C’est le genre d’arrangements qui différencie d’emblée Big Shot et Bloomsday, à la facture pourtant très similaire au départ, lourde et lancinante. Là où le premier exemple déploie un riff impérieux pour ancrer tout l’édifice de façon magistrale, le second – complainte sépulcrale, limite gothique, sur un Dublin n’ayant aujourd’hui plus grand-chose à voir avec celui de James Joyce – puise lui dans une inspiration plus décalée à la Pixies. Un simple slide de guitare hypnotique et menaçant, qui sera à coup sûr joué sur scène avec une bouteille de bière à peine terminée, et on se retrouve à mi-chemin entre I Bleed et Silver. Une fois de plus bien mis en valeur par la production propre mais toujours vivante de l’incontournable Dan Carey, remplie de variations subtiles, ce sens du détail paye, que ce soit dans How Cold Love Is qui remet en scène le malaise existentiel de Love Is The Main Thing (de manière peut-être moins marquante que l’originale), jusqu’au final shoegaze Nabokov, en passant par les effets plus clinquants et claquants de Jackie Down The Line. On mettra juste de côté The Couple Across the Way, lamentation sur une crise conjugale principalement jouée à l’accordéon par Chatten, et qui ferait donc presque office d’interlude par rapport à tout le reste…

Alors oui, c’est vrai, certains fans de la première heure ne trouveront peut-être pas leur compte dans tout ça, en dépit de l’indéniable maîtrise démontrée par le groupe. Skinty Fia ne possède ni le charme immédiat de Dogrel, avec ses accents pub-rock romantiques et braillards à la The Pogues, ni le cachet vintage de A Hero’s Death quand il s’aventurait sur les terres plus américaines du Velvet et de Lee Hazlewood (voire celles d’harmonies vocales à la Beach Boys). Mais ce que Fontaines DC a perdu en vitalité juvénile recyclant sans efforts apparents l’héritage de ses ainés, il le gagne aujourd’hui en se forgeant une cohérence stylistique qui lui faisait défaut jusqu’à maintenant, malgré quelques menus impairs créatifs et autres redites. ‘Home is where the heart is‘ dit le vieux dicton anglais. Le clou sur la carte a beau avoir quelques traces de rouille, il est placé exactement où il doit l’être, et risque fort bien de rester planté là pour longtemps.

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A ECOUTER EN PRIORITE
In ár gCroithe go deo, Big Shot, Jackie Down The Line, Bloomsday, Skinty Fia, I Love You

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