23 Août 24 Fontaines D.C. – ‘Romance’
Album / XL / 23.08.2024
Rock
Le 15 avril dernier, Fontaines DC annonçait Romance en diffusant une courte vidéo avec, comme bande son, le titre éponyme de l’album. À l’image, un ascenseur au bout d’un couloir, en plan fixe, jusqu’à ce que, au moment même où les guitares saturées explosent pour ne produire que du bruit pur, terrifiant par son absence de sens, un flot de peinture verte se déverse par les interstices des portes de l’ascenseur, pour se répandre dans le couloir. L’une des dernières scènes de Shining était ainsi reproduite très fidèlement, remplaçant juste le sang par le liquide couleur de l’espoir, contrebalançant habilement l’atmosphère de terreur attachée au film de Stanley Kubrick. Dans le même temps, on entendait une voix douce, prête à basculer dans un ton plus menaçant déclarer : ‘Into the darkness again / In with the pigs in the pen / And God knows I love ye (…) And maybe romance is a place / For me And you‘. En écoutant Romance aujourd’hui, en ouverture du quatrième album des irlandais, on sait que la lucidité au sujet de la violence du monde ne mènera ni à l’abattement, ni au désir de se laisser illusionner, mais à l’espoir, fragile, que l’amour restera une planche de salut quand tout s’effondrera autour de soi. Créer de l’effroi tout en mettant au jour le moyen qui permettra de ne pas se laisser vaincre par celui-ci, voilà une entrée en matière ambiguë et pour le moins risquée.
Starbuster, qui séduit immédiatement par sa rythmique déterminée, autour de laquelle tournoie, enivrante, une mélodie orientale, prend le relais en maintenant l’angoisse à coup d’aspirations suffocantes dans le refrain, souvenirs d’une crise de panique de Grian Chatten. Après un Skinty Fia ralenti et assombri de bout en bout par son spleen, on remuait et redressait à nouveau la tête avec Fontaines DC. Le groupe n’avait jamais cessé de nous émouvoir, certes, mais on commençait à se résigner à ce qu’il ne nous fasse plus danser, préoccupé qu’il était d’explorer son intériorité troublée par l’exil. Alors avec ce Starburster au flow rageur et enflammé, avec ses incursions en terre hip hop mais également sa délicate parenthèse poétique, c’est un peu comme s’il remettait les pendules du rock à l’heure. Here’s the Thing confirme ce retour d’énergie, mais dans une veine beaucoup plus pop et très années 90 dans le son. Ce titre, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, montre le travail particulièrement étonnant effectué sur la voix : on écoutait Grian Chatten surtout fasciné par sa densité poétique, on se laisse à présent charmer par les différentes modulations de son chant, combinées de façon harmonieuse à celui des autres musiciens, Conor Deegan en tête, lequel amène souvent les morceaux vers des hauteurs plus lumineuses .
Ce nouvel équilibre entre la forme et le fond, que l’on doit entre autres à la production de James Ford (Arctic Monkeys, Foals, Gorillaz…), riche sans ostentation, donne parfois une apparence de légèreté nouvelle aux compositions de Fontaines DC, sans occulter l’évidente noirceur qui transparaît à d’autres moments. Que l’on se rassure, on est encore loin d’avoir affaire à une formation mainstream. La suite de l’album le prouvera, en développant majoritairement des tempos plus traînants, dans une lignée proche de celle de Skinty Fia, mais avec un environnement sonore plus ample et diversifié, travaillant d’une manière ambitieuse la matière sonore. Desire rend bien compte, dans sa structure comme dans ses effets, de l’ambiguïté et de l’ambivalence du désir, le morceau s’étirant en rendant bien compte non seulement de l’impatience lancinante à obtenir ce que l’on veut mais également de l’insatisfaction à l’avoir obtenu, ce que soulignent, géniales et édifiantes, les paroles : ‘I see them driving into nothing where the nothing is sure / They drown their wishes in the fountain like their fathers before‘. La belle ballade qui suit, In The Modern World, classique et touchante, voit sa mélancolie soulignée par des cordes nostalgiques d’un autre temps. Bells On The Sheep’s Neck (Formerly Bug) intervient comme une transition turbulente vers une deuxième partie plus lente que la première, retenant l’attention avec davantage de difficultés aux premières écoutes mais qui, avec le temps, révèle la délicatesse dreampop du titre composé par Conor Curley (Sundowner), ou l’ampleur de celui proposé par Carlos O’Connell (Horseness Is The Whatness), magnifié par ses cordes élégantes et les subtils rebonds de sa rythmique. Mais lorsque le dernier morceau arrive, le merveilleux Favorite, on sait pourquoi on gardera toujours un certain attachement pour Fontaines DC. Il en exprime véritablement la quintessence, à savoir cette capacité à se redresser et à regarder fièrement devant soi après avoir approché le tragique de l’existence. Se servir de l’art pour trouver la joie au plus profond de la mélancolie, en somme, ce que résume parfaitement le premier couplet du titre : ‘From the dream / Make you feel Everything you’ve never even seen‘. En clôturant Romance avec une telle perle, qui serre le coeur par sa tendre et lumineuse beauté, les irlandais se ménagent définitivement une place de choix dans nos mémoires.
Fontaines DC, en changeant de label, de producteur, de look, pouvait donner l’impression d’être passé en mode conquête du monde. Sans doute que le marketing de Romance affiche clairement cette ambition, et pas toujours avec le meilleur goût d’ailleurs, mais son contenu, lui, bien que s’essoufflant par endroits, révèle l’absolue intégrité artistique de leurs auteurs. En laissant de côté la réflexion sur leur identité irlandaise pour s’ouvrir à une méditation exigeante et douloureuse sur leur rapport au monde d’aujourd’hui, ces derniers ont acquis une universalité qui, plutôt que de les rendre superficiels – comme pourrait le laisser penser l’intégration à leur musique d’éléments électroniques, clairement pop ou issus du hip hop – les impose comme essentiels. Moins autocentré que Skinty Fia, Romance accomplit la prouesse de révéler l’époque à elle-même, afin qu’elle s’aperçoive que ses horreurs ne parviendront jamais à recouvrir complètement ses beautés.
Cédric
Posté à 10:31h, 31 aoûtJ’ai 3 eu faire 3 écoutes, à partir de Here’s a thing je trouve que l’album tombe dans le mauvais des 90’s.
Romance et Starbuster débutent pourtant très bien cet album.
Quand je vois les critiques élogieuses, j’ai l’impression de passer à côté de quelque chose.