
17 Mar 24 Foncedalle – ‘Foncedalle’
Album / Exag / 08.03.2024
Krautrock electro
Il fallait oser s’appeler Foncedalle. Déjà pour ce à quoi cela rattache inévitablement, à savoir au monde des fumeurs de joints, ce qu’il faut pouvoir assumer de façon permanente ; ensuite pour ce que cela signifie intrinsèquement, à savoir cet état de faim irrépressible qui pousse à vider le frigo après avoir fumé, ce qui conduit à associer la musique jouée par un groupe ayant choisi ce nom à une sorte de fringale frénétique. La frénésie, effectivement, on la ressent à l’écoute du premier album des Lyonnais. La variété des styles abordés par leur premier EP, Traboule, se retrouve à nouveau ici, mais avec l’exigence plus poussée de fondre les différentes influences dans une totalité homogène, marquant plus efficacement son identité. La rythmique reste électro, tendance mitraillette : régulière le plus souvent, elle peut toutefois s’accélérer brièvement et subitement, plaçant l’auditeur dans un état d’alerte permanent. La nouveauté se trouve plutôt dans l’atténuation de la dimension pop de Traboule, au profit d’un lien beaucoup plus marqué entre l’efficacité des beats et l’approche Krautrock de l’ambiance des morceaux, harmonisant l’ensemble tout en permettant, par intermittence, des incursions plus rock avec un usage bien dosé des guitares. La voix, de son côté, devient plus éthérée, ce qui permet d’insister sur sa musicalité propre ; déformée, elle plane au dessus de la musique ou l’aère de l’intérieur, perçant des ouvertures au coeur de la masse sonore.
On jouxte, si l’on veut, les univers étranges dessinés par Meule, secoués par l’énergie dansante de Django Django. L’atmosphère créée par Foncedalle semble correspondre à celle d’un environnement artificiel, spacieux et plein d’une technologie devenue comme une seconde nature. Les sonorités semblent émaner de bornes interactives, de terminaux de paiement, de portes coulissantes, de jingles de messages préenregistrés que l’on entend dans les gares, aéroports, supermarchés… et le chant uniforme et désincarné semble destiné à les accompagner. Pour autant, ce qui pourrait paraître froid dans cette démarche est agréablement compensé par le désir d’expérimenter les possibilités ludiques de ces lieux où nous nous sentons parfois oppressés, souvent réduits à l’état de machines. Les Lyonnais ont ceci de subversif qu’ils produisent une musique d’éveil, agissant comme la prise de conscience de nos capacités d’initiatives et d’interactions dans un monde perçu habituellement comme aliénant. Ce monde, ici, est devenu un véritable terrain de jeu : course poursuite haletante et hyper rythmée avec Trans U et Saint Angers ; moments plus apaisés destinés à mettre nos sens aux aguets avec Meghan ou François Roses ; invitation à la danse avec W.A.N.E, basculement dans une transe sombre et hypnotique avec l’infernal et magistral Nightt Club qui clôt l’album.
Ainsi, après avoir exploré le milieu plus confiné des traboules, terrain d’expression d’une créativité spontanée, Foncedalle semble investir les grands espaces urbains pour y pratiquer une sorte de ‘psychogéographie’. Ce terme, inventé par les situationnistes, renvoie à l’appropriation d’un lieu par un individu après la mise à distance des habitudes qui lui étaient assignées. Libéré des contraintes, l’espace investi peut ainsi redevenir le champ de tous les possibles. Les morceaux de ce premier album des Lyonnais paraissent saisir ces possibles en invitant l’auditeur à y confronter ses propres désirs. La fringale, chez Foncedalle, n’est donc pas l’expression passive d’une réaction à un psychotrope, mais plutôt la manifestation exigeante d’un désir d’aventure, prêt à prendre le monde à bras le corps. On consent volontiers à une telle défonce !
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