26 Sep 23 Flat Worms – ‘Witness Marks’
Album / GOD? – Drag City / 22.09.2023
Garage punk
En 2022, les Flat Worms foulaient les planches lustrées de la Boule Noire, éructaient leur rock hybride empreint de garage, de post et de punk. Le trio guitare-basse-batterie porté par Will Ivy, Tim Hellman et Justin Sullivan emplissait la salle de riffs et de grooves frénétiques : le tableau idéal pour un concert défouloir. Problème, l’ambiance avait cette énergie bizarre chargée de tension réprimée. Le chanteur leader défiait l’audience, lançait quolibets et imprécations pour réveiller la fosse. Les pogos naissaient bien ça et là mais, rien à faire, les bousculades restaient timides, limite polies. Ce soir-là pourtant, entre mélodies dynamiques et acoustique de qualité, les Flat Worms ne manquaient pas d’éléments percutants. Seule la puissance qui transcende les compositions leur faisait défaut, tout comme l’essence donnant cette intensité cathartique aux formations punk et hardcore. Avec Witness Marks sorti sur le label GOD?, les californiens nous lancent une nouvelle invitation au lâcher prise, une parenthèse libératrice dans la folie du monde moderne. Pour quel résultat ?
Mixés par leur acolyte Ty Segall, les onze titres naviguent du hardcore des 80’s au post punk des Fontaines DC. Le premier riff de Sigalert, aigu à frissonner, déclenche les hostilités. L’album démarre sans sommation et happe comme un titre des Black Flag. Une basse caverneuse s’installe, le mix thaumaturge lui prête le gigantisme d’une créature fantastique. Cette entrée en matière laisse présager une montée en puissance, nous plonge dans l’attente d’une violence purificatrice : une intensité qu’on retrouve seulement lors de certains passages, d’instants puissants mais instables, comme si l’étincelle brillait subitement puis vacillait sur le temps d’après. Sur Suburban Swans et Time Wrap in Exile, les introductions entrent en force, ouvrent des territoires de jeux expérimentaux affichant de bonnes idées instrumentales, mais couvertes par la voix et noyées dans la structure simple des morceaux. Le chant pourtant ne rallume pas la braise : son style soliloquant manque de densité, se complait dans une retenue dénuée de l’énergie brute d’un Grian Chatten. Les paroles engagées sur l’urbanisation de masse comme les troubles identitaires sonnent alors trop légères pour parvenir à impliquer l’auditeur.
Le trio trouve cependant des clés tout au long du disque et parvient à livrer des titres marquants, dans différents registres. Orion’s Belt par exemple, composition courte habillée d’une batterie punchy efficace, se distingue grâce à son tempo rapide et ses riffs de guitare dissonants créant un contrepoint avec la voix suffisamment pénétrant pour sublimer sa nonchalance. Plus tard, l’introduction cosmique de Sick Of My Face joue, elle, une mélodie d’hymne punk, puis le chant montre les crocs sur l’incandescence d’un couplet, laissant entendre le potentiel mordant inexploité de Will Ivy. En fin de course, telle une parenthèse mélancolique, See You At The Show dénote par son atmosphère de rêve. D’une sensibilité immersive, ses mélodies plus froides nous couvrent comme des lambeaux de fumée s’échappant d’un couloir de salle éclairé par des néons fatigués. Le moment de respiration enclenché par la basse alanguie sert parfaitement un solo ponctuant le morceau d’une touche de nostalgie sur laquelle le chant est à son aise.
L’expérience live relatée plus tôt est finalement révélatrice de la teneur de Witness Marks : s’il contient nombre de mélodies abrasives, de grooves de basse bien rythmés, de riffs à la jouissante stridence, l’énergie de ce nouvel album n’est que rarement nourrie par la voix. De fait, les thèmes abordés – entre introspection et vision d’un monde en perdition – sonnent comme des constats d’observateurs plutôt que d’acteurs rageurs comme on en croise au sein du punk et du hardcore dont le groupe peut parfois se revendiquer. Si dans leurs moments de fulgurances sombres, tendres ou violents, les Flat Worms parviennent effectivement à induire ces forces, on aimerait qu’ils les densifient et les étirent pour nous laisser pleinement pénétrer par leur univers.
A ECOUTER EN PRIORITE
Sigalert, See You At The Show, Orions Belt, Time Warp In Exile
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