
25 Avr 20 Fiona Apple – ‘Fetch The Bolt Cutters’
Album / Epic / 17.04.2020
Ovni
De toute les qualités de Fiona Apple, celle qui lui vaut aujourd’hui le buzz phénoménal qui entoure Fetch The Bolt Cutters est surement sa rareté. Avec cinq albums en près de 25 ans de carrière, le dernier datant de 2012, l’américaine prend son temps pour réaliser son Grand Oeuvre. Evidemment, cette rareté ne serait rien sans son talent, sa curiosité, et sa singulière personnalité, mais il est assez probable que c’est un comburant formidable à cette alchimie et à cet emballement soudain autour de ce nouvel album.
De fait, Fiona Apple est pour le moins une chimiste hors-pair et le produit de son travail et de sa réflexion, comme chaque fois, est inattendu, inconnu, entier, vibrant. On pourrait passer des heures à énumérer les artistes auxquel(le)s on pense en écoutant chaque titre, de Norah Jones à Janis Joplin ou Florence and The Machine, mais ce serait trahir l’originalité et l’unicité de cette nouvelle production. On retiendra peut-être une Tori Amos d’il y a vingt ans, pour la hargne et l’adéquation parfaite de la voix, du piano et du message; ou pour rester auprès de ces mêmes magiciennes, Kate Bush, pour l’exigence apportée au traitement du son et le goût des bricolages expérimentaux.
Pour comprendre l’extase des anglo-saxons pour ce disque, il nous manquera certainement à nous, frenchies, naturellement plus à l’aise avec les subtilités de la langue de Molière, une compréhension fine des double-sens, des allusions et des références, car dans cet album bavard, les mots ont un sens et justifient chacune des notes qui les enrobent. Il y est question de toutes les quêtes, de tous les combats de Fiona Apple et en cela, chaque titre est profondément féministe et introspectif. Il s’agit de grandir et d’assumer seule et librement ses choix et ses actes, le titre Fetch The Bolt Cutters résumant le propos : ‘I grew up in the shoes they told me I could fill/Shoes that were not made for running up that hill/And I need to run up that hill, I need to run up that hill/I will, I will’. Les mots de Fiona Apple ne sont pas politiques sauf For Her, diatribe contre la nomination par Trump du très controversé Brett Kavanagh à la Cour Suprême. L’artiste préfère s’adresser aux autres, comme elle se parle à elle-même, en termes directs, agacés, brûlants, urgents, convaincus. Ce faisant, sa voix prend la forme de son propos, se déchire (ô cette émotion qui traverse Rack Of His, ou ce cri de colère vain contre la dépression dans Heavy Balloon), plaint, pleure, ironise, aboie, rie, et donne à ses interrogations, son cynisme et ses révoltes une forme universelle.
Fiona Apple réussit à homogénéiser impeccablement son album fait essentiellement de voix et de rythmes complexes, d’une base mélodique à minima, mais toujours irréprochable. Les prises semblent faites en direct, sans filtre, et donnent une ampleur live, presque improvisée, à l’ensemble. Si l’introductif I Want You To Want Me ou Cosmonauts sont de somptueuses balades faciles d’accès, le blues-soul fragile aux émotions contrariées de Ladies, ou des titres comme Newspaper, le RnB tribal de Relay, ou le chamanisme moderne de On I Go (présenté par la chanteuse comme un chant de méditation Vipassana) sont plus ardus. Mais Fetch The Bolt Cutters est intelligent et subtil, évite nombre d’écueils en surprenant l’auditeur à chaque minute par de nouvelles ruptures, des échantillons de mélodies, des contre-pieds qui invitent à une nouvelle exploration. Voilà d’ailleurs le souci principal de cet album : le risque d’addiction.
A ECOUTER EN PRIORITE
I Want You To Want Me, Shameika,Rack Of His, Cosmonauts, On I Go
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