22 Mar 23 Fever Ray – ‘Radical Romantics’
Album / Mute / 10.03.2023
Pop
Il y a un mood spécifique chez Fever Ray, sur le fil du rasoir, teinté des humeurs résultant de l’ultra sensibilité. Un mood habité par une aspiration à tout envoyer balader dans une explosion apocalyptique de cotillons fluorescents. Il est donc peu étonnant que l’équipe aux manettes du Breaking Bad de Vince Gilligan ait décidé, back in 2009, d’utiliser If I Had a Heart, premier gros titre de la moitié de The Knife, pour la synchro d’une scène mémorable : un pétage de plombs de Jesse Pinkman, hurlant au volant d’un kart, avant de rentrer dans les décombres d’un chez soi transformé en squat de toxicos. C’est ainsi qu’une bonne partie du grand public a découvert le projet de Karin Dreijer.
Le temps de gestation des albums de Fever Ray est long, ce qui permet de donner à ses titres une épaisseur en peaux d’oignons, chaque écoute révélant des couches nouvelles, la découverte de petites sonorités d’arrière plan, de jeux de production, invitant à s’arrêter ici sur un delay, là sur des cuivres plus ou moins détraqués, recréés en sons analogiques. Un temps qui crée une attente élevée, tant la musique de Fever Ray est une île dont la beauté secrète irradie le paysage pop contemporain.
Quatorze ans après le très dark album éponyme, et déjà six ans après le plus acidulé Plunge et ses tempi accélérés, Dreijer débarque donc avec Radical Romantics, état des lieux en montagnes russes sentimentales d’une figure quadragénaire, égérie pop-goth queer dont l’esthétique – travaillée par le kitsch, le grotesque, et un sens festif invitant à tripper sur les cendres – vient révéler de nouvelles facettes tout en confirmant d’anciennes.
Les anciennes, d’abord. Les quatre premiers titre de l’album sont, pour la première fois depuis 2013, co-signés par Karin et son frère Olof, marquant le retour de la direction artistique bicéphale de The Knife : joie. La symbiose du duo fraternel se ressent dès l’emblématique What They Call Us inaugural. On adhère mécaniquement, corporellement aux beats autant qu’aux paroles : commencer un album par ‘First I Had To Say That I’m Sorry‘, ou l’art de jouer avec ironie sur une culpabilité trop prégnante pour être évacuée. On retrouve un paysage propre au duo, moins dancefloor, quelque peu voilé, dix ans de portes grandes ouvertes à l’effondrement étant passés par là, dix ans de radicalisation des haines aussi, d’ou le parti pris inverse du titre.
Radical Romantics donne des envies de danser seul, ivre devant un miroir, ou dans les transports en commun, comme les types perchés, de couper le cordon de l’écrasement social en faisant des doigts plein de bienveillance à un environnement désespérant. Pitchs des voix, mélange de percussions caribéennes, de sonorité indus, d’atmosphères et luminosités nordiques, glissandos et jeux de roues de modulation… : les sonorités s’amusent ! Si Fever Ray a un avenir sur les dancefloors, c’est vraisemblablement sur ceux des afters, chargés, la triste promesse d’une descente toujours en ligne de mire. Sur cet album, Dreijer explore aussi les nouvelles facettes de l’amour, au travers du prisme numérique 3.0, tout autant désenchanté par la peur du vieillissement que chargé d’un enthousiasme aspirant la vie par tous les orifices ou cavités des corps.
Ici, les collaborations ne sont pas seulement d’un seul sang, et les annonces mettant en avant la participation de Trent Reznor et Atticus Ross ont fait saliver sur les possibilités de telles contributions. Pari plus que réussi sur Even In Out, et son ‘cut cut cut cut‘ assené une soixantaine de fois sur fond de larsens synthétiques, signatures du leader de NIN; ou sur un North à la blancheur éblouissante, aux harmonies invoquant une Kate Bush assombrie, et dont les incantations glaciales répétées tout au long de la fin du titre nous rappellent le potentiel poétique des phrases ad-lib : ‘There’s no place I’d rather be than with you‘. D’autres participations mériteraient d’être soulignées, notamment celle de Vessel sur le single Carbon Dioxyde et son accroche prometteuse, ‘Suckin On What’s Mine Love’s Carbon Dioxyde‘ : tout un programme.
Comme pour laisser une respiration après ces loopings émotionnels, Radical Romantics se conclue par une longue piste ou la voix instrumentale et la thématique océanique rappellent la filiation scandinave avec Björk, autre égérie septentrionale. La lumière nordique a assurément quelque chose de fascinant. Et de durable.
A ECOUTER EN PRIORITE
Show Me The War, Body Against The Gun, Mute Swan, Battle Call
No Comments