Elizabeth Vogler – ‘Les Mains Tordues’

Elizabeth Vogler – ‘Les Mains Tordues’

Album / Bientôt Veuves / 12.01.2024
Ritual vocal – Drone – Ethereal

Qu’est-ce que la voix ? Où commence-t-elle ? Que dit-elle de nous ? Jusqu’où peut-elle être liée à nos émotions, nos vies, nos combats ? C’est par ces questions que pourrait débuter l’écoute de ce premier disque intense et envoûtant où la voix, reine, semble dominer l’espace et le temps.

Réalisés par la mystérieuse artiste pluri-disciplinaire Elizabeth Vogler, les six titres de ce voyage se révèlent à nos oreilles comme autant de mondes cachés, nichés sous une réalité musicale aux multiples facettes et incarnations. Faisant évoluer des phonèmes pour former une langue idiosyncratique proche de la glossolalie, Elizabeth Vogler sacrifie le signifié sur l’autel du signifiant pour provoquer en nous l’émotion la plus pure, détachée de toute représentation, et ce dès le morceau d’ouverture. Hormis les titres, en français, ainsi que sa pochette, saphique et colorée, rien ne nous indique vraiment là où nous sommes, ce vers quoi nous évoluons, à quelle échelle nous nous situons, telle une matière mouvante en quête de gravité et, parallèlement, d’élévation, entre tentation de la hauteur et gouffre des profondeurs. Une orientation qui agit comme un rempart contre les définitions trop précises, les déterminismes et les conditionnements. Les mots laissent alors place aux sons et aux sensations, comme une protection contre les maux de l’âme, du cœur et de l’esprit qui, tel un talisman, en explore les plus intimes tourments.

Première sortie du jeune label parisien Bientôt Veuves, Les Mains Tordues se joue alors des frontières mentales, physiques, géographiques et esthétiques. A l’image de l’improvisation vocale magnétique et transcendantale qui supplante Sous Les Algues, un titre baigné de lumière porté par les rayonnements d’un piano aux réverbérations surnaturelles faisant face aux inflexions vitales et aux mélopées viscérales. Enregistré en un jour, comme pour mieux fixer l’intemporalité et l’émotion d’une voix nouvelle qui semble pourtant avoir toute une vie derrière elle, le disque explore les méandres de la modalité grâce au chant et aux drones lancinants générés à l’aide d’une shruti box. Un instrument-totem qui s’efface parfois derrière des percussions, tribales dans Le Chant des Amères, ou dans des circonvolutions électroacoustiques qui atteignent leurs paroxysmes dans le morceau-titre du disque. On pense souvent à Dead Can Dance et Cocteau Twins pour la force incantatoire, au Mystère des Voix Bulgares et à Björk pour l’exploration des frontières, ou encore à Meredith Monk pour la capacité à explorer la voix, à questionner ses possibilités et ses limites en inventant un méta-langage. Mais, plus que tout, c’est avant tout cette voix qui nous marque, cette voix qui contient en elle tout un univers et qui semble bien déterminée à tracer dans la scène française une voie singulière en se jouant de nos sens et de nos perceptions. ‘La musique souvent me prend comme une mer‘ écrivait Baudelaire ; la mer où l’âme erre, puisque l’amère est la mère de toutes les victoires.

ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Le Chant des Amères, Sous les Algues, La Baie Engourdie


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