
08 Avr 21 El Michels Affair – ‘Yeti Season’
Album / Big Crown / 26.03.2021
Funk bollywoodienne
Le monde n’est pas assez vaste pour satisfaire la curiosité de l’hyperactif producteur new yorkais Leon Michels. Il fallait au moins les contreforts de l’Himalaya indien pour donner tout son volume à son nouvel album Yeti Season, mais les photos de voyage qu’il en ramène valaient bien ce détour.
En guise de périple, il ne faut pas aller chercher bien loin, en vérité. En quelques mois, le compositeur-producteur a participé aux performances impeccables de Freddie Gibbs et Madlib, au nouvel album de Menahan Street Band (même si ce dernier laisse entrevoir les limites imposées par le confinement en terme de finitions), il a déménagé vers un pays de neige (juste au nord de New-York, en fait), et vécu l’isolement et l’éloignement, choisi puis contraint, comme une manière de renouveler son inspiration, de repenser sa production.
On sentait déjà une évidente introspection tout au long du précédent opus Adult Themes. Yeti Season double la mise et nous permet d’accéder à tout ce qui le constitue intrinsèquement. Seul chez lui, avec sa famille et ses instruments, Leon Michels a patiemment réécouté la production des signatures de son label Big Crown, et sélectionné deux voix féminines : Shannon Wise (The Shacks) déjà entendue sur l’album précédent, mais surtout Piya Malik qui envoûte intégralement l’album et lui confère son charme bollywoodien.
Le rapport entre le savoir-faire soul-funk de Michels et les orientations pop indiennes instillées par la présence de Piya Malik est en effet génialement articulé. L’album oscille sans arrêt entre un ethno-funk feutré et un groove languide plus rythmé qui ferait fondre toutes les neiges éternelles, et ce dès les premières notes du titre introductif : quelques claves, la rythmique s’installe comme en écho, puis les effets de pédales accompagnent la voix de Piya Malik, très assurée, dans toutes ses modulations. La mélodie se densifie progressivement et rend l’auditeur incapable de lâcher l’écoute. C’est brillant et obstiné.
La magie opère avec la même efficacité chaque fois que la chanteuse pose sa voix sur l’album : sur le très dansant Murkit Gem, le plus épais Dhuaan, ou le magistral Zaharila, montée imparable d’une complainte triste vers un déchaînement psyché mené au son des flûtes. Mais on attend aussi toujours de la soul cinématique d’El Michels Affair une densité identique dans ses titres instrumentaux. Nombre d’entre eux entretiennent le mix parfait entre jazz-funk et traditionnel indien (Fazed Out, Perfect Harmony et Silver Lining), incluant une sonorité low-fi propre au groupe, qui depuis ses débuts (et ses reprises du Wu Tang Clan) cultive brillamment sa fibre rétro.
Le niveau de l’album est si élevé qu’on est presque blasé d’entendre des titres plus posés (le Sha Na Na très doux porté par Shannon Wise et A La Vida, dans la veine d’Adult Themes). Mais Leon Michels a du talent à revendre, et sait retrouver en un titre de conclusion toute l’émotion d’une articulation piano-vents, dans les variations, pourtant posées sur une rythmique peu engageante, d’un groove funk transfiguré par le phasing et le souffle de la flûte (encore elle). Il transforme ainsi, de la première à la dernière note, ce voyage himalayen haut perché en constant ravissement.
A ECOUTER EN PRIORITE
Unathi, Fazed Out, Murkit Gem, Zaharila, Last Blast
Greg
Posté à 15:45h, 26 septembreCet album est une pépite comme on en croise rarement.