08 Nov 24 EggS – ‘Crafted Achievement’
Album / Howlin Banana / 01.11.2024
Indie pop
A Glitter Year, fin 2022, avait été pour toutes celles et ceux qui avaient croisé sa route, une véritable révélation. Le genre de disque qui s’immisce d’emblée dans notre vie pour s’y faire une place durable. Les raisons ? Un côté fièrement cabossé, une énergie qui fait se côtoyer croyance en des lendemains qui chantent et abandon mélancolique aux souvenirs du passé, une indifférence à la rentabilité économique de l’engagement artistique, un désir de mettre en avant l’esprit communautaire plutôt que l’individualiste soif de réussite. La bande son idéale du début d’année 2023, accompagnant fortuitement les manifestations contre le projet de réforme des retraites. Elles tombaient vraiment bien, ces chansons à la hauteur d’homme, pour nous dire qu’un autre monde est toujours et heureusement possible.
Deux ans plus tard, voici arrivé Crafted Achievement, autrement dit ‘réalisation artisanale’. Quoi de mieux, effectivement, pour caractériser la démarche de cette singulière troupe, que d’insister sur le fait maison, correspondant au désir de retrouver la vie en dehors des habitudes normées par l’impératif d’efficacité, en l’opposant à cette exigence de perfection technique désincarnée caractéristique de la production industrielle ? Toutefois, si EggS assume ses défaillances, génératrices d’imprévus et rendant possible par là même le surgissement spontané de l’émotion, il n’en reste pas moins que ce second album affiche une rigueur inédite, qui s’avère être l’une de ses particularités essentielles. Dès la première écoute de Head In Flames, le premier morceau de ce nouveau disque, on est plutôt frappé par la clarté et la précision de l’instrumentation. On a encore en mémoire le souffle de A glitter Year, particulièrement bien mis en avant par son côté garage engageant la dizaine de musicien.n.es formant le groupe à se lancer dans une course échevelée avec pour seul but de vivre le plus intensément possible. Mais Crafted Achievement, avec ses arrangements soignés, choisit de ralentir légèrement le rythme afin que chaque instrument trouve sa place et prenne le temps de cultiver sa singularité, comme les claviers sur Keep on Stumbling, ou la lap steel sur Head In Flames. Du côté du chant, on retrouve les choeurs plein de tact et de sensibilité de Margaux Bouchaudon et de Camille Fréchou (d’En Attendant Ana), mais cependant la nouveauté vient de Charles Daneau, qui montre que la simplicité est le meilleur moyen d’être touchant, et d’Erica Ashleson, qui apporte sa singularité indie, notamment sur Angry Silence, merveilleux morceau clôturant l’album, magnifié par la complémentarité entre les deux voix. Finalement, ce que EggS perd (d’une manière très relative) en spontanéité, le groupe le gagne en délicatesse, ce qui permet de bien mesurer la qualité des compositions, révélant ainsi leur beauté au fil des écoutes. Si prendre de l’âge revient, pour Charles Daneau et sa bande, à faire comme le bon vin en distillant progressivement mais sûrement ses qualités et ses arômes, alors on est prêt à vieillir avec eux.
Mais s’il est juste de parler de ce qui évolue chez EggS, il convient toutefois d’insister sur sur ce qui perdure et établit une continuité dans l’évolution du groupe, telle que cette volonté acharnée de produire des hymnes précieux qui s’enracinent dans nos fragilités pour mieux les sublimer. Head In Flames, At The End of The Road – dont le démarrage n’est pas sans évoquer le Can’t Stand Me Now des Libertines -, et surtout les deux versions de Your Maze – la première, mélancolique et concourant avec aisance pour le titre de la meilleure chanson de l’année, la seconde, joyeuse et faussement insouciante – peuvent accompagner Local Hero, Old Fashioned Virtue ou Still Life dans leur volonté de restaurer la dignité de celles et ceux qui ne se sont pas résignés à faire de leur existence la simple reproduction de désirs banalement et tristement consuméristes. Si ce deuxième album des parisiens émeut autant que son prédécesseur, c’est sans doute parce que, au fond, il brandit comme un étendard dans un monde livré aux calculs des égoïsmes la liberté créatrice qui caractérise l’artisanat, tout en affirmant, par son souci nouveau de raffiner les arrangements, son exigence de l’entretenir, de l’attiser, de l’augmenter encore et encore afin que nous cessions de désespérer de l’avenir.
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