
12 Mar 25 Edith Frost – ‘In Space’
Album / Drag City / 28.02.2025
Folk
Certains come-back surprennent plus que d’autres. Edith Frost a beau avoir sorti un EP en totale indépendance il y a cinq ans, puis un titre solo davantage produit, on ne s’attendait pas pour autant à un retour prenant la forme d’un album aussi construit et produit qu’In Space, distribué par son label d’origine Drag City. Et pour cause, l’artiste d’Austin semblait jusque-là préférer un anonymat relatif, postant ça et là, depuis quelques années, des reprises sur sa chaine YouTube.
Vingt ans se sont écoulés depuis It’s A Game, deux décennies pendant laquelle l’industrie musicale – à l’instar de la manière d’écrire et de produire la folk music – a connu moults révolutions. Mais il suffit de quelques secondes de discussion avec Edith Frost (interview à paraitre prochainement, ndlr) pour être confronté à sa singularité, une touche propre que l’on retrouve avec joie dès les premiers accords d’In Space. Le temps comme les révolutions culturelles et musicales des vingt dernières années n’ont pas ébranlé le cocon ouaté qui caractérise sa musique. La présence de Mark Greenberg, et de l’acolyte de toujours Rian Murphy, aident au maintien de ces arrangements aussi éthérés que subtils qui font le suc de chacun de ses disques.
Reste que, depuis, la guitare – clé de voute du précédent opus – a été troquée contre un clavier, ajoutant des textures vaporeuses dès le titre d’introduction, Another Year. La voix, quant à elle, est restée intacte, au point qu’on pourrait penser l’album sorti en 2007. Le fossé, creusé par le temps passé depuis It’s A Game, permet de réaliser à quel point le traitement des voix et des arrangements a par ailleurs été modifié dans le paysage folk : les standards actuels ne sont plus ceux du début du millénaire, et In Space dénote par ses arrangements qui rendraient presque nostalgiques, collant ainsi à la tonalité d’un album traversé par les doutes, les regrets, et les coups d’oeil dans le rétro. Si l’ambiance générale est ouatée et nébuleuse, la production reste particulièrement précise et se méfie des effets. C’est davantage par un jeu tout en finesse de petits sons, légers trémolos ou voix doublées que nait un sentiment de vertige ou de déséquilibre morphinique, notamment sur les compositions les plus lentes du disque.
A ce titre, What A Drag / In Space / Something About The War sont assurément les morceaux les plus réussis de l’album. Tous trois sont teintés d’une mélancolie aussi profonde qu’inextricable, et accueillent chaleureusement le timbre de voix en longues notes tenues d’Edith Frost qui, pour ses vertus anxiolytiques, peut se permettre de rivaliser avec celui de la regrettée Mimi Parker. L’éponyme, flashé à 40 bpm, réalise des prouesses en terme de lenteur, inhabituelle même pour une balade, créant un vertige le temps de s’adapter à ce tempo avant de nous conduire à l’évidence : Pourquoi aller plus vite ?. Les arrangements de fin, entre scie musicale et toy piano (ou claviers apparentés), apportent une ivresse flottante qui, ajoutée à la lenteur, invitent illico In Space au sein de notre playlist d’atténuation de toute forme de pression ou de craquage nerveux. Something About The War, sans conteste une des plus belles chansons du catalogue pourtant fourni de l’artiste, est aussi réconfortant que tragique, le réconfort venant non pas de ce qui est dit, mais de la manière de le dire, de la douceur et de la sensibilité en toute transparence de la texane. Sa rengaine ‘Call Me After The War’, particulièrement prégnante ces dernières semaines, lui confère des airs de love-song de fin des temps.
Si l’actualité est éclairée du rouge des signaux d’alerte, nous exhortant à ralentir le pas à sa lecture, certains artistes y apportent des réponses avec leurs armes aussi inoffensives que nécessaires. La Texane les rejoint haut la main en nous livrant un album émaillé de titres témoignant d’une sensibilité aussi humble que salutaire, ouatée dans une lenteur riche en consolation. L’Amérique aurait besoin de plus d’Edith Frost, et de moins de bouffons sous Kétamine.
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