15 Août 17 Downtown Boys – ‘Cost of Living’
Album / Sub Pop / 11.08.2017
Punk
En mars dernier, on s’accordait avec le docteur en sociologie et spécialiste des musiques populaires Gérôme Guibert sur la relecture originale de l’histoire que pouvait donner à entendre chaque nouvelle génération d’artiste. Une vision à rebours du concept ankylosé (mais tout aussi intéressant néanmoins) de Retromania. Autrement dit, si les vingtenaires d’aujourd’hui piochent sans vergogne dans un passé qu’ils n’ont même pas connu, ce peut aussi bien être pour en développer ‘une lecture en corrélation avec nos propres préoccupations contemporaines‘ plutôt que pour un hommage appuyé et sans aucun recul critique.
On vous dit ça parce que lorsqu’on a découvert Downtown Boys sur scène l’année dernière, le parallèle avec la première vague du hardcore américain semblait tout tracé. Tout – des morceaux gonflés de colère aux diatribes politiques s’imposant entre eux – évoquait les faits d’armes de Minor Threat, Black Flag ou Bad Brains. Et pourtant les qualités du groupe de Providence, Rhode Island, allaient bien au-delà de celle du pastiche. Ils étaient cinq sur scène (hommes, femmes, noir, blancs, latino, queers, straights) : un collectif hétéroclite (loin du cliché du ‘mâle blanc dominant’ du rock) engagé dans une guerre contre l’oppression policière, la financiarisation à tout va, et pour le respect des minorités sexuelles ou ethniques. Evidemment, les mauvaises langues tableront sur un simple effet d’opportunisme, sans toutefois connaître l’engagement de longue haleine qui déborde le strict cadre musical du groupe. Et avouons qu’au regard du manque de consensus actuels, l’argument ‘bien-pensance’ tombe aussi carrément à plat.
On n’a pas été les seuls, loin de là, à avoir été frappés par le magnétisme quasi-chamanique de leur performance. Tout au long de l’année 2016, le groupe – emmené par la chanteuse Victoria Ruiz – a bénéficié des louanges de SPIN, Fact, Rolling Stone ou encore Pitchfork. Une reconnaissance des médias qui, on l’imagine, a contribué à lui ouvrir les portes de Sub Pop chez qui il publie aujourd’hui son troisième album. Un label majeur pour amplifier la visibilité du groupe, et intrinsèquement son discours.
Moins immédiatement punk que son prédécesseur (‘Full Comunism’ sorti en 2015), ‘Cost of Living’ en puise à contrecoups une solidité nouvelle. Enregistré et produit en compagnie de Guy Picciotto (Fugazi, Rites Of Spring), l’album pose ses bases plus sereinement tout en conservant une dynamique forte et autres éléments caractéristiques du groupe, comme la présence de cuivres et les textes alternant l’anglais et l’espagnol. Quant au fond, les thématiques restent inchangées (la suprématie blanche, l’autoritarisme, les phobies queer et trans) avec tout de même un ennemi maintenant tout désigné en la personne de qui-vous-savez-avec-sa-peau-orange. Il lui est d’ailleurs fait allusion dès l’introductif ‘A Wall’, référence au gigantesque projet de mur censé délimiter prochainement les frontières étasuniennes et mexicaines.
Mais si le discours construit et mesuré qui habite en entier ‘Cost Of Living’ rend l’album aussi ‘parlant’ à ce moment précis de l’Histoire (Tom Breihan de Stereogum parle de ‘la première œuvre d’art politique majeure de l’ère Trump’), c’est aussi parce que, justement, son discours n’est pas son unique clé de voûte. ‘Cost Of Living’ reste un album de musique qui s’apprécie autant pour ses constructions, son énergie, la foi qui l’habite. Comme d’autres écoutent Sleaford Mods sans saisir pleinement les réalités sociales que dépeint le duo de Nottingham, on peut écouter Downtown Boys simplement pour ‘le plaisir du jeu’. Et c’est ce qui donne cette tonalité si juste, jamais ampoulée, à ‘Cost Of Living’. Un parfait cheval de Troie pour apprentis-situationnistes et qui risque bien de faire parler la poudre pour le restant de l’année sinon plus.
A ECOUTER EN PRIORITE
‘A Wall’, ‘Because You’, ‘Violent Complicity’, ‘Tonta’, ‘Lips That Bite’
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