25 Jan 22 Documentaire – ‘Desolation Center’
DVD / Musical Ecran / 04.12.2021
Documentaire musical
New York et ses clubs à l’hygiène plus que douteuse n’ont pas le monopole du punk. Dans les années 1980, Los Angeles était également une plaque tournante des idéaux de rébellion d’une jeunesse désabusée. Evidemment aux antipodes de l’oisiveté au soleil, du roller à patins sur la plage et du culte de l’image lié à Hollywood… Au sein de cette faune locale, Stuart Swezey. Du haut de ses 20 ans, il assiste impuissant à la répression violente du mouvement à crêtes par la police. Les concerts avaient en effet une sacrée chance de finir par une baston générale à coups de matraques dans la tronche, et des arrestations musclées. Il faut dire que Daryl Gates, le chef du LAPD, comme tout un pan de l’Amérique conservatrice sous la férule de Ronald Reagan, chope de l’urticaire au moindre riff de guitare. Swezey décide alors de mettre en place un projet apparemment utopique et casse gueule : organiser des concerts dans le désert inhospitalier des Mojaves, là où personne ne pourra emmerder les fanas de musique alternative. D’autres projets tout aussi farfelus suivront. C’est ce que raconte son propre documentaire Desolation Center, petit bijou nostalgique à la gloire du DIY et des rêves adolescents.
Mélangeant pêle-mêle images d’archives de live, interviews, photos en noir et blanc, Desolation Center se veut traditionnel dans son montage chronologique des événements. Paradoxalement, il fallait ça pour rendre compte du bordel ambiant lié à l’organisation des projets de Swezey. Les anecdotes d’anthologie agrémentées d’images improbables se succèdent comme une rafale d’uzi. Au hasard : voir les kids de Los Angeles, totalement dans le flou quant à leur destination, prenant des bus scolaires affrétés pour se rendre en plein désert assister à un concert, vaut son pesant de cacahuètes. Surtout quand tout ce beau monde se retrouve devant Minutemen et un D. Boon pouvant à peine ouvrir les yeux à cause du sable virevoltant dans sa poire. Le vent capricieux forcera même à protéger les micros et à les envelopper de… chaussettes.
Ces conditions moins qu’idéales n’empêcheront pas l’équipe de Desolation Center de remettre le couvert en mars 1984 et de rentrer définitivement dans la légende. Pouvoir se rendre compte grâce au documentaire de l’aspect mythique, dangereux et supra-libertaire de cette journée apocalyptique est inestimable. Entre la performance d’Einstürzende Neubauten à base de concerto de scie circulaire et le collectif Survival Research Laboratories s’évertuant à vouloir faire péter un pan de la montagne à l’aide d’explosifs, on se demande par quel miracle aucune personne présente dans le public n’a avalé son extrait de naissance. Vous pouvez également compléter le tableau par Boyd Rice, allongé sur un lit de clous avec un bloc de parpaing sur la poitrine, se faisant frapper à plusieurs occasions avec une masse.
Stuart Swezey ne voulait cependant pas se cantonner aux shows dans le désert, et propose l’idée d’organiser un concert sur l’eau. Joy at Sea verra les Minutemen et les Meat Puppets à deux doigts de faire couler un bateau le long de la côte de San Pedro. La der des ders pour Desolation Center se fera avec Sonic Youth, jouant d’ailleurs pour la première fois en Californie. La nuit tombée, toute l’audience est en train de tripper sévère grâce aux centaines de buvards de LSD circulant de mains en mains. Encore l’histoire qui s’écrit à coup d’irresponsabilité et d’acide.
La fin de la récréation est sifflée en décembre 1985 par la mort brutale de D. Boon lors d’un accident de van. Toute la scène alternative est endeuillée et a du mal à concevoir des lendemains chantants. Constater pendant une interview de Mike Watt qu’il ne s’est jamais vraiment remis de la perte de son ami et partenaire musical est un réel coup de poing dans le bide. Swezey veut de toute façon éviter toute récupération commerciale du festival. Libre et punk un jour, libre et punk toujours.
Il est impossible d’imaginer les Coachella, les Burning Man et les Lollapalooza sans l’influence du Desolation Center. Mais à l’inverse de ces grosses machines bien huilées, ce dernier n’a jamais succombé aux sirènes du mercantilisme outrancier. C’est finalement là tout le message du documentaire, bien au-delà de la nostalgie coutumière de ce genre de film. Et puis simplement, on regrette tout le long de ne pas avoir pu vivre cette expérience formative et transformatrice. On ressort de cette heure et demi avec une énergie contagieuse et l’envie irrépressible de, nous aussi, réaliser nos rêves les plus fous. Et peut-être également de tenter le LSD dans le désert, à la lumière de la lune.
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