Dirty Three – ‘Love Changes Everything’

Dirty Three – ‘Love Changes Everything’

Album / Bella Union / 28.06.2024
Post rock

Faire chauffer les amplis, sortir la guitare, monter la batterie. Brancher le violon. Voilà qui est devenu une habitude depuis trois décennies pour les vétérans de Dirty Three, formation australienne qu’on ne présente plus puisqu’elle compte en son sein Mick Turner, Jim White et le génial touche-à-tout Warren Ellis. Pour son premier album en douze ans (et le huitième de sa carrière), le grand fracas de ses performances passées laisse place au changement. Un disque moins radical mais nettement plus subtil, empreint de références mais surtout d’une grande liberté.

Et c’est dans l’histoire de la folk et de la musique traditionnelle que nous plonge d’emblée, et presque malgré lui, ce nouvel opus. Découpé en six parties, il semble remonter le fleuve des influences des trois comparses, tel un radeau naviguant en mer (plutôt) tranquille. Dès son ouverture, le thème esquissé semble directement hérité de celui de Greensleeve ou de 500 Miles, dans une version forcément débraillée. La suite, portée par une série d’accords mélancoliques plaqués au piano, déploie son charme nostalgique avec des vagues atonales venant emporter notre esprit dans la valse sans fin des souvenirs. Un procédé qui rappelle, quelque part, celui de Peace Piece de Bill Evans, enregistré il y a plus d’un demi-siècle. Projet poursuivi, en plus délicat et immanent encore, dans la troisième partie avec un drone lancinant s’amourachant d’une obsédante mélodie minimaliste, toujours dans des obsessions modales.

Derrière ces quelques accords de guitare que l’on devine improvisés, le violon de Warren Ellis imprègne, lui, toute la quatrième section, avec ses grands coups d’archet qui se noient dans une réverbération très dense, aux limites du surnaturel. Contrebalancé par quelques sons concrets venant s’opposer à la clarté et la belle présence de la six cordes, l’instrument fétiche du barde fait alors des merveilles en fuyant toute forme d’académisme. Ambiance brumeuse, rythmique brisée, pizzicato, la cinquième partie renoue, elle, avec une sorte de brouillard dans lequel on ne distingue plus ce qui appartient à la musique traditionnelle, à l’improvisation, à la fonction mémorielle. De jeux de perceptions en illusions, nous entendons bien un bout de We Shall Overcome dans la sixième et dernière partie, comme glissée dans une jam semblant couvrir l’étendue des possibles, de l’European Son du Velvet au Spirit of Eden de Talk Talk. L’occasion de rappeler que ce n’est peut-être pas un hasard si John Cale avait offert au trio son entrée chez Touch and Go Records au milieu des années 90, l’altiste gallois ayant lui-même quelques comptes à régler avec les influences, paradoxes et esthétiques ayant jalonnés la musique du siècle dernier. Mais ici chaque conflit se dénoue en nuances, dans une sérénité pénétrante, à l’instar du nouvel album de John Zorn sorti la semaine dernière (Her Melodious Lay, en collaboration avec Julian Lage et Gyan Riley), comme si le temps se prêtait désormais plus à la paix qu’au tumulte, et ce malgré le contexte actuel.

Plus apaisé que jamais mais aussi plus subtil, Dirty Three semble se mettre au vert pour porter le plus beau des messages : quoiqu’il arrive, l’amour vaincra et nous sauvera, toujours.

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Love Changes Everything II, Love Changes Everything IV


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