
29 Avr 21 Dinosaur Jr – ‘Sweep It Into Space’
Album / Jagjaguwar / 23.04.2021
Rock alternatif
Dinosaur Jr., c’est comme une très bonne bouteille de vin rouge. Ca vieillit bien, c’est indémodable et ça fait son effet euphorisant de la plante des pieds à la pointe des cheveux. Depuis 1985, comme un Petit Poucet du rock alternatif, le trio mythique sème les classiques sur son chemin, et son retour à la fin des années 2000 après une longue rupture n’aura même pas fragilisé la continuité de sa discographie impeccable. Comment donc réussir à épicer les choses lorsqu’on a la cinquantaine et qu’on sort son douzième album ? Déjà en appelant à la rescousse un certain Kurt Vile en guise de co-producteur. Ensuite, en élargissant la range émotionnelle habituelle et en composant les morceaux les plus pop et mélodieux de sa carrière. J Mascis, quant à lui, continue d’alimenter nos carrières d’air guitaristes, sans se départir de sa nonchalance légendaire. Mais la vraie star de Sweep It Into Space reste Lou Barlow. Prenant les rênes du groupe le temps de superbes ballades, il brouille allègrement la délimitation entre Dinosaur Jr. et Sebadoh, ce qui n’est pas forcément pour nous déplaire.
Les princes du slacker rock – la royauté officielle revenant à Pavement – ont toujours eu le chic des entrées propres et fracassantes. I Ain’t s’inscrit typiquement dans le respect de cette tradition avec sa grosse tartine de fuzz, de noise et un son de guitare divinement crade pour tout le monde. J Mascis continue à chouiner ses textes avec son indolence des débuts, tandis qu’il shredde comme si sa vie en dépendait. Pourquoi varier une formule gagnante ? Lieu commun, certes, mais qui colle comme un gant à Dinosaur Jr.
Le groupe sort cependant la carte introspective pour contrecarrer un minimum les attentes. I Ran Away et Take It Back font la part belle à la mélancolie et à la puissance mélodique dont le trio est capable. L’esthétique sludge se fait la malle pour laisser la place au piano, à l’acoustique et aux inspirations pop. Les compositions sont plus nuancées et versent beaucoup moins dans le cataclysme noisy des débuts. Un cœur tendre se cache donc forcément derrière ce mur d’amplis.
Kurt Vile prête également main forte en embarquant sa guitare 12 cordes et en harmonisant vocalement avec J Mascis. On ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de maudire une nouvelle fois la crise sanitaire liée au COVID, qui a détruit bien des opportunités pour le potentiel gigantesque de cette collaboration. Parions en tout cas un billet que ce léger étalage des sensibilités pop de Dinosaur Jr. hérissera le poil des ronchons puristes, bloqués depuis des décennies dans la ritournelle du ‘c’était mieux avant’.
Depuis 2005, la hache de guerre semble enterrée entre J Mascis et Lou Barlow. L’embrouille aura au moins permis la réalisation de Green Mind et Sebadoh III – deux chefs d’œuvres du rock alternatif. La nature control freak du guitariste hero se calmant avec l’âge, Barlow peut de plus en plus s’emparer du micro et occuper le devant de la scène, comme en attestent les ballades Garden (contender pour le titre puant le plus le merveilleux retour des beaux jours heureux et ensoleillés) et You Wonder. La magie est à l’œuvre quand ces deux-là s’allient et coopèrent pleinement. Tirons aussi la casquette au batteur Murph – le ciment, la glue et le métronome humain imperturbable du groupe.
Dinosaur Jr. peut rendre la génération Z nostalgique d’une époque qu’elle n’a pas connu. Les américains sont aussi la preuve qu’une reformation n’est pas vouée automatiquement à la facilité mercantile. Au contraire, depuis 2005 et la seconde partie de sa carrière, le trio démontre avec une efficacité quasi-scientifique que la vieillesse n’est pas forcément un naufrage. Ce n’est pas Sweep It Into Space qui changera ce commandement.
A ECOUTER EN PRIORITE
I Ain’t, I Ran Away, Garden, Hide Another Round, Take It Back
Pas de commentaire