24 Mai 24 DIIV – ‘Frog In Boiling Water’
Album / Fantasy / 24.05.2024
Shoegaze
Une première écoute engendre son lot de projections mentales. Parfois, on dessine un espace fantasmagorique qu’un genre nous permet d’associer au disque, fait de poncifs ou d’images d’Epinal, pour renforcer le plaisir de l’album, accolé à un lieu, une situation, une humeur : on se verra ainsi arpenter les grands espaces américains en Chevrolet à l’écoute d’un Phosphorescent ou d’un Waxahatchee. Quid de ce type de projection lorsqu’il s’agit de DIIV, dont l’esthétique est éloignée de tout lyrisme, remplie d’humilité, et dont l’horizon stylistique, défini par le bien nommé shoegaze, pourrait se résumer à une vue plongeante et figée sur une paire de sneakers ?
Les première images qui se font jour à l’écoute de Frog In The Boiling Water sont bien distantes des grands canyons. Les arpèges introductifs sur les lentes pulsations de In Amber nous invitent dans un espace aussi clos que confortable, mi-chrysalide, mi-cocon, mi-sédatif dans un lit d’hôpital étrangement cosy. Un repli en soi, un point de confort, cotonneux et anesthésié. De là ce titre étrange ? La voix de Zachary Cole Smith, éthérée, flotte sur les forces soniques des guitares sans que celles-ci n’aient jamais rien d’assourdissant. Prouesse technique du mixage, qui réussit à maintenir une ambiance duvetée sur fond de larsens acérés.
Frog In The Boiling Water n’est pas un album de contrastes. Un consensus démocratique a flotté sur tout le processus de production, invitant les égos à abaisser leurs voix au profit du collectif. La conséquence d’un tel multipartisme a conduit DIIV à construire une atmosphère plus apaisée en termes sonores, sans être moins poignante pour autant. Les riffs n’ont pas les alternances grunge ou les mélodies entêtantes de Deceiver. Tout ici a été réfléchi, pesé, questionné. Si on adhérait à l’énergie de l’opus précédent au bout de trente secondes, celle du nouveau venu donne envie de prendre un casque, de s’allonger, de chercher la posture la plus appropriée pour être en condition de s’immerger dans le tunnel sonore qui nous est proposé ici. Le quatrième LP de DIIV parle peu aux tripes, n’a pas l’immédiateté de son prédécesseur. Il n’en est pas moins envahissant : la contagion, la submersion sur l’auditeur opère par à-coups, au fil des écoutes. Qualité indéniable des albums réfléchis et travaillés pendant de longs mois : Frog In The Boiling Water se bonifie au fil des replay, les subtilités apparaissant avec un relief d’autant plus marqué que s’éloignent les premières écoutes, reptiliennes. Les tripes, légèrement déçues au départ, cèdent la place à la multiplicité des sens.
Le changement de production n’est pas anodin à ce résultat. Chris Coady – producteur notoire du meilleur album de Beach House (Depression Cherry) ou d’Amen Dunes (Freedom), mais aussi des mentors de Slowdive (rebaptisés SlowDIIV par certains fans des deux formations) – succède à Sony Diperri, renommé pour son travail avec Emma Ruth Rundle. Deux approches différentes, deux pointures de l’indie qui diffèrent sur bien des aspects : les mises en avant de la voix, traitées en lead sur Deceiver, sont ici mélangées aux instruments dans un égalitarisme proclamé, synthèse des premiers albums aux voix lointaines et peu audibles et du virage plus pop des dernières années. En terme de mixage et de nivellement des fréquences, ce côté ouaté, qui vient atténuer les aspérités du son, renforce le cocon et donne envie de planer davantage aux côté du quatuor. Comme si les écorchures des membres du groupe étaient telles qu’il était préférable de les cautériser, là ou il peut être tentant d’en souligner ou accentuer les irrégularités.
L’impression générale est celle d’un bloc antagoniste, fait de puissance et d’analgésique. De In Amber en introduction au superbement nommé Fender On The Freeway, en passant par Raining On Your Pillow ou Everyone Out, les claques se succèdent et DIIV semble avoir trouvé en la figure de Chris Coady le producteur le plus en adéquation avec ses ambitions. Jamais la voix de Zach n’a aussi bien sonné, jamais les frottements de guitare sur le manche n’ont apporté cette envergure au groupe de Brooklyn. Mention spéciale aux bends sur la fin de Brown Paper Bag qui, à défaut de nous faire envisager la traversée des Canyons, nous donnent envie de nous mettre au skateboard, casque audio vissé sur les oreilles, en regardant nos pompes. Tout est bien qui finit bien : on a finalement trouvé l’image à accoler à l’écoute de ce Frog In The Boiling Water. Et tant pis si on se gamelle en skate, la bande son du dernier DIIV accompagnera à merveille nos faux-pas et jouera de son pouvoir anesthésiant pour atténuer nos chutes. Un disque à vendre en pharmacie.
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