01 Mai 22 Daniel Rossen – ‘You Belong There’
Album / Warp / 08.04.2022
Folk jazz expérimental
Humble cheville ouvrière de Grizzly Bear, Daniel Rossen n’avait jusqu’à présent jamais livré de long format en solo. Depuis un excellent premier EP solo en 2012, on se prenait à espérer que l’auteur des meilleures titres de la formation new-yorkaise (de Fine For Now à Sleeping Ute) et de Departement of Eagles (In Ear Park) trouve le temps de nous gratifier enfin d’un album entier de ses compositions si singulières.
La discrétion de Daniel Rossen n’est en effet jamais parvenue à occulter la fascination étrange que suscitent ses chansons à la fois mélancoliques et énigmatiques. Non content d’écrire des mélodies exceptionnelles, il est en outre un guitariste d’une inventivité époustouflante. Exilé à Santa Fe depuis la mise en hibernation de Grizzly Bear en 2020 pour une durée indéterminée, il met aujourd’hui ses talents au service d’un édifice sonore captivant lui permettant de déployer ses chansons parmi les plus personnelles.
Un étrange et capiteux accord de guitare 12 cordes ouvre ainsi le titre d’introduction It’s a Passage, parfaite mise en bouche aux mélodies sinueuses et aux orchestrations majestueuses qui vont suivre. Malgré l’absence de ses comparses de Grizzly Bear (à l’exception du batteur Christopher Bear qui vient apporter ici son précieux soutien), la production essentiellement acoustique n’en demeure pas moins extrêmement riche avec des instruments très variés (haut bois, cordes, santoor, etc…) pour un résultat enivrant.
Affranchi des contraintes pop qui pouvaient entraver ses penchants ésotériques, Daniel Rossen laisse libre cours à un imaginaire musical débridé au sein duquel sa mélancolie familière se retrouve enveloppée d’un sombre voile lorgnant le free jazz et la musique contemporaine. Les plages les plus impressionnistes de l’album évoquent ainsi le reflux incessant de sables mouvants au sein desquels seule la voix du chanteur permet de rester à la surface (You Belong There). L’atonale Tangle et ses cascades de piano déconcertantes pousse les curseurs encore plus loin pour produire un état de désorientation avancée. Mêlant avec une virtuosité confondante motifs de guitare classique et influences jazz brésiliennes dans des structures alambiquées (Unpeopled Space), Daniel Rossen n’hésite ainsi pas à arpenter les chemins les plus tortueux au risque de perdre une partie de ses auditeurs en chemin.
Mais le bonhomme reste surtout un formidable mélodiste venant par moments (en particulier sur le meilleur titre de l’album, Shadow In the Frame) tutoyer la grâce d’un Brian Wilson qui aurait choisi de rôder dans l’ombre d’une forêt touffue plutôt que de se dorer la pilule sous le soleil californien. Sa voix lancinante le rapproche quant à elle d’un Thom Yorke jazzy et moins geignard sur les titres les plus mélancoliques du disque (Celia, The Last One).
Plus exigeante que celle de Grizzly Bear, l’œuvre introspective mais pudique de Daniel Rossen en solo n’en est que plus fascinante et confirme si besoin était qu’il est définitivement l’un des songwriters les plus originaux et talentueux de sa génération.
A ECOUTER EN PRIORITE
Shadow In The Frame, The Last One, It’s a Passage, You Belong There
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