15 Août 22 Danger Mouse & Black Thought – ‘Cheat Codes’
Album / BMG / 12.08.2022
Hip hop
Il était temps. Après avoir produit stars internationales (U2, Adele, Red Hot Chili Peppers…) et figures indépendantes bien en vue (The Black Keys, Parquet Courts, MF DOOM, Sparklehorse…), après avoir mis au monde quelques groupes majeurs basés sur la mixité des genres (Gnarls Barkley, Broken Bells), il était temps que Danger Mouse retourne enfin à son premier amour : ce hip hop classique et sincère grâce auquel il s’est fait un nom en 2004 quand, en mêlant les oeuvres de Jay-Z et des Beatles, il faisait de son Grey Album le disque de mash-up le plus réussi de l’histoire de la musique contemporaine.
Pour l’occasion, il retrouve une autre figure du genre : Black Thought, frontman de The Roots, un des groupes les plus influents de l’histoire du hip hop avant même qu’il fasse office de backing band d’une des émissions de télé américaines les plus regardées. Devenu un des Mcs les plus reconnus du pays après y avoir été trop longtemps sous-estimé (le freestyle devenu viral, donné chez Funk Flex en 2017 l’y aura considérablement aidé – voir la vidéo), Tariq Trotter – de son vrai nom – affine les mots, jongle avec les syllabes comme peu sont capables de le faire, pour servir une écriture habile et affutée, un discours aussi réaliste que conscient, jamais dénué de critiques envers le monde qui nous entoure.
L’idée de cette entente a beau remonter à une dizaine d’années maintenant, elle se concrétise enfin aujourd’hui, et de la plus belle des manières tant tous deux signent ici un des albums les plus incontournables de l’année. Authentique à souhait, Cheat Codes ne va pas chercher à dévier ces deux solides représentants hip hop de la voie qu’ils se sont toujours tracés. Si un voile psychédélique recouvre l’album du début à la fin, leur amour de la soul saisit ainsi dès l’introductif Sometimes, l’efficacité funk de No Gold Teeth actionne les cervicales dans un même automatisme qu’un réflexe de survie, et à chaque instant chacun prouve à la fois son talent de musicien et à quel point la culture hip hop coule depuis toujours dans ses veines. En atteste – parmi d’autres ici – le mélancolique Violas and Lupitas se chargeant de conclure ces 38 minutes rassurantes quant à la survie des basiques.
Les invités, nombreux, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Tous – qu’il s’agisse de Raekwon, Michael Kiwanuka, Run The Jewels, Joey Bada$$, A$AP Rocky ou Conway The Machine – n’ont sans doute pas tergiversé longtemps suite à l’invitation du duo. Bien qu’au meilleur de leur art, tous doivent néanmoins s’incliner ici devant le seul qui ne puisse plus s’entendre : le regretté MF DOOM avec qui Danger Mouse avait déjà collaboré à l’occasion du projet Dangerdoom (2005), et que Black Thought avait rejoint pour un titre (Mad Nice) sur sa réédition de 2017. Tous trois signent donc ici un Belize de haut vol, à l’ambiance soul hypnotique, sur lequel les 2 Mcs se relaient avec maestria.
Il fallait donc attendre. Attendre que chacun fasse son chemin pour laisser son expérience transpirer des sillons de cet album, et en faire une oeuvre intemporelle et sans faux-pas. Car même si Danger Mouse tire ici ou là de vieilles ficelles récupérées sur sa route (The Darkest Part lorgne les Black Keys qu’il a produit, tandis que Because et Aquamarine ne sont pas sans rappeler les rondeurs pop-soul des débuts de Broken Bells), le duo se présente plus frais que jamais avec, sous le bras, une conjugaison parfaite de ses talents, et rien de moins que ce que les deux compères avaient besoin d’entendre au moment d’entrer en studio. Loin des attentes et à mille lieux des tendances donc, il est manifestement encore possible de compter sur ces deux légendes du hip hop, la science du sample de l’un et la rime affutée de l’autre, pour ne pas laisser le genre définitivement aux griffes de la musique produite au kilomètre : tout ce que nous aussi, avions besoin d’entendre.
A ECOUTER EN PRIORITE
Sometimes, The Darkest Part, Because, Belize, Aquamarine, Strangers, Saltwater
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