Damon Locks & The Black Monument Ensemble – ‘NOW’

Album / International Anthem / 09.04.2021
Jazz gospel electro

Bien que nettement moins en vue chez nous que la londonienne, la scène de Chicago n’en déchaîne pas moins les passions. Le premier album de Damon Locks et The Black Monument Ensemble s’est d’ailleurs attiré les éloges des plus grands outre-Manche. Gilles Peterson l’a, ni plus ni moins, placé au sommet de son classement des albums 2019. Quand on connait le flair du bonhomme, ce n’est pas rien. Propulsé sur le devant de la scène donc, on se demandait ce que le musicien compositeur et producteur Damon Locks allait nous réserver pour ce deuxième album avec ses acolytes du Black Monument Ensemble.

Dans la lignée de Where Future Unfolds, Damon Locks a fédéré une flopée de musiciens (18!) parmi lesquels Angel Bat Dawid, très en vue ces dernières années. Sorte de collage grandeur nature, le collectif associe à sa musique des extraits de discours des Droits civiques. En découle un onirique mélange de jazz et de gospel proposant une vision musicale résolument singulière et irrésistible. Au travers d’arrangements entrecoupés d’interventions parlées aux accents sociaux indéniables (‘Si tu avais plaidé coupable, tu serais déjà sorti de prison’ auquel répond un ‘Je ne suis pas coupable’ sur The People vs The Rest of Us), Now bouscule nos habitudes musicales. Les percussions d’Arif Smith et la batterie de Dana Hall créant un terreau rythmé sur lequel viennent se greffer des sons, des samples oscillant constamment entre joie et désespoir.

La création de l’album a pourtant été légèrement chamboulée. L’année 2020 incarne comme on le sait, le paroxysme de l’isolement et d’une ambiance sociale délétère. Un autre point marquant de cette année est la mort de plusieurs ‘Black People’ des mains de la police américaine. C’est au cœur de cette année bouillonnante que Locks s’est attaqué à l’écriture de Now en réponse à ce chaos. Il se questionne et nous questionne avec comme élément central de réflexion : Que va-t-il se passer maintenant ?

Que ce soit Now (Forever Momentary Space) ou The Body is Electric qui clôture l’album, ce collage grandeur nature distille ses questions davantage que ses réponses. Tantôt guidé par la voix envoûtante d’Angel Bat Dawis, ou par sa clarinette déchainée emballant The Body is Electric, la musique du collectif semble sortie d’un songe sirupeux nous emmenant aux confins du réel, au gré de ‘Shalalala’ divins.

Cette musique au groove implacable n’est possible que par la grâce d’un collectif plantureux. Pour Now, Locks s’est pourtant retrouvé dans la position de compositeur arrangeur totalement isolé. Son travail a finalement pris son ampleur, fin août, lors d’une première série d’enregistrements en studio à Chicago, au moment même où la proximité respiratoire ankylosait l’entièreté de la population. Les compositions de Locks furent discutées, triturées et captées en quelques prises, dans un climat d’urgence. Les percussions seront, elles, enregistrées dans la foulée. De Now percole cette communion spontanée qui s’apparente à un remède défiant l’obscurantisme d’une période nécrophage. Les interrogations parsèment l’album, soutenues par un rythme lancinant et hypnotique. Lorsque les peurs suintent, elles sont rapidement essuyées par des sursauts de joie.

À l’instar de la maison International Anthem, la musique de Damon Locks et The Black Monument Ensemble apparait aujourd’hui inclassable et indispensable. Les musiciens érigent la liberté de création en leitmotiv, délivrant une vision collective de notre société davantage qu’une ambition musicale. Si les chœurs en liesse parachevant l’album sonnent comme des paraboles divines incarnant une libération après des mois de solitudes, les échos de cette musique atypique résonnent durablement dans notre inconscient.