30 Avr 24 Corridor – ‘Mimi’
Album / Sub Pop / 26.04.2024
Indie rock
Comment prendre son temps quand celui-ci nous est compté ? Il aura fallu à Jonathan Robert et sa compagne l’idée de chercher un contrat d’assurance-vie capable de protéger leur famille pour inspirer au chanteur-guitariste de Corridor les paroles émouvantes de Mourir Demain, morceau incontournable de la seconde face de Mimi, quatrième album du groupe québécois. Prendre son temps et profiter de la vie, c’est donc ne pas se laisser bouffer par la perspective de se confronter un jour à des dates fatidiques, tout en gardant en ligne de mire l’inévitable irruption de ces dernières. Position ambivalente qui nécessite de faire preuve d’une certaine maturité, terme dont Corridor s’est ironiquement toujours méfié pour décrire les étapes franchies à chaque nouveau disque. On se souvient que l’enregistrement de Junior, précédent LP qui marquait l’entrée de la formation dans le prestigieux giron Sub Pop, impliquait d’aller vite pour respecter la deadline de sa sortie – pari que les Canadiens avaient tenu haut la main, tant l’oeuvre était riche et convaincante. Une pandémie et les aléas de la vie personnelle plus loin, il semble que les priorités aient quelque peu changé. Signe que faire preuve de maturité est dorénavant un atout indispensable.
Mimi reflète parfaitement cette situation : ce coup-ci, il va bien falloir embrasser le terme honni pour justifier le nouveau virage généralement plus posé – voire apaisé – que ces huit morceaux font opérer à Jonathan et ses acolytes Dominique Berthiaume, Julian Perreault et Julien Bakvis, ici rejoints par leur complice de scène Samuel Gougoux. Il en découle un album qui lui aussi prend son temps, à l’image de son long processus d’écriture et d’enregistrement. Peut-être inspiré par ses expériences solo folk-rock et bucoliques sous le nom de Jonathan Personne, Robert semble même disposé à se laisser porter sur un ou deux titres du disque – à l’image d’une musicalité parfois très humble et fort peu tape-à-l’œil sur une partie de sa seconde face, qui laissera peut-être certains auditeurs sur leur faim.
Prendre son temps, heureusement, c’est aussi se laisser l’opportunité de mener des expérimentations aux potentialités riches et prometteuses. Et encore une fois, le nouveau pari est rempli sur la majorité des titres. En fouillant les interstices de sa musique, et en y insufflant de nouvelles sonorités synthétiques, Corridor découvre des dimensions inédites pour rendre ces compositions-là encore plus intéressantes que par le passé, sans jamais nuire au charme limpide de son songwriting initial. Le titre d’ouverture Phase IV a par exemple les atours d’un slow grower addictif, grâce au groove indolent de sa basse et ses nappes de clavier crémeuses – support feutré aux arabesques enivrantes et autres coups de nerfs noisy des guitares, renvoyant une fois de plus à Women ou Viet Cong (là où l’influence Deerhunter se fait plus prégnante sur des chansons comme Mon Argent ou Mourir Demain). Corridor a toujours construit son identité en insérant les références extérieures de manière élégante au sein de sa propre musique, et les nouvelles sonorités explorées ici forment même un liant nouveau entre ces éléments au départ disparates, comme au cours de cette hallucinante et virevoltante séquence synthétique sur le pont de l’extraordinaire Jump Cut. Titre le plus bondissant de l’album, mais aussi le plus intense harmoniquement parlant, ce morceau fait plus qu’empiler textures analogiques et digitales. Il joue également avec le nombre de mesures pour entraîner l’auditeur dans le tourbillon d’un psychédélisme magistral. Du grand art qui complète à merveille les autres cartes maîtresses abaissées par les cinq Québécois, tel l’impérial riff central de Caméra, ou encore l’ambiance planante du titre final Pellicule, rehaussée par des sons boisés et un tapis synthétique qui n’auraient pas dépareillé dans le salon de Broadcast.
Dernier atout, la poésie si touchante et particulière que Jonathan Robert ne manque jamais d’insuffler à Corridor ou à ses propres escapades solo. Le songwriter peut même s’emparer de thèmes potentiellement casse-gueule pour transcender ces derniers, comme dans Mon Argent : ‘Chaque fois que le soleil se pose / Comme une immense pièce d’or / Dans les coffres de la ville / Il me paraît infidèle / Dans le creux de mes mains / Il repart par la fenêtre / Et reviendra demain / Mon argent infidèle / Plus maigre et incertain’. À l’heure où tant de musiciens, y compris ceux signés sur d’importants labels, galèrent pour vivre de leur art de manière convenable, Jonathan a l’élégance de souligner précisément la situation avec humour et distance, sans jamais tomber dans le misérabilisme ou le pathos. Ce faisant, il médite sur le temps qui passe inexorablement pour chacun de nous, mais aussi sur l’importance de s’extasier des plus petites choses du quotidien, tel ce soleil-pièce d’or venant illuminer la ville chaque jour, bon an mal an, en dépit des aléas de l’existence. Plus encore qu’une quelconque ‘maturité’, la valeur de la sagesse, assurément.
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