13 Juin 20 Coriky – ‘Coriky’
Album / Dischord / 29.05.2020
Indie rock
Si le monde entier attend désespérément de revoir un jour le duo Ian Mackaye – Guy Picciotto habiter la scène comme il était le seul à savoir le faire, il faut rester réaliste : avec la soixantaine en ligne de mire, les quatre rockeurs de Washington D.C. auraient sans aucun doute toutes les peines à garder le mythe intact. Certes, Brendan Canty et Joe Lally ont prouvé l’an dernier avec The Messthetics qu’être statique permettait encore de supporter le poids du temps sur ses épaules; mais qu’en serait-il de la pile électrique Picciotto qui, depuis, ne s’est illustré qu’en concerts assis aux côtés du regretté Vic Chesnutt, ou à l’ombre d’un studio en tant que producteur ? Finalement, du haut de ses 58 ans, seul Ian MacKaye prend encore ‘le risque’ de fissurer son image en dévoilant Coriky, nouvelle formation qu’il compose avec son ancien bassiste et sa femme Amy Farina.
Formé il y a quatre ans dans le plus grand secret, le trio lâche seulement maintenant un premier album pour le moins attendu par les fans de ces pionniers du post hardcore, tous obnubilés par une question essentielle : qui de The Evens ou de Fugazi transpirera le plus au travers de ces nouvelles compositions ? A ce petit jeu, ni Clean Kill ni Too Many Husbands, les deux premiers morceaux dévoilés défendant chacun leur chapelle, ont permis d’apporter une réponse juste. A l’écoute des onze titres de ce premier album éponyme sur lequel tous chantent, qu’on se le dise : le couple Mackaye / Farina prend bel et bien le lead, faisant surtout de Coriky un The Evens sur lequel un bassiste – et quel bassiste ! – vient magnifiquement faire office de colonne vertébrale.
Ici, les envolées électriques et bruitistes héritées de Fugazi sont donc aussi régulières que brèves. Pour le reste, à l’image de The Evens (Say Yes, Bqm, Jack Says) et du dernier album du quatuor de Washington DC (Have a Cup of Tea, Inauguration Day), Coriky fait la part belle à des compositions ou l’intensité prend ses distances avec le volume : le signe d’une mure sagesse acquise tardivement mais que les principaux intéressés ne sont manifestement pas décidés à abandonner. Bien que plus affirmée qu’avec The Evens, la frappe groovie mais un peu molle d’Amy Farina contribue d’ailleurs à cette impression (Say Yes, Have a Cup of Tea, Shedileebop), comme elle ne gommera pas le regret de ne plus entendre celle de Canty ponctuer le jeu de ses vieux potes.
De son côté, l’ancien Minor Threat a beau ne plus trop gueuler, ses mots n’en sont pas moins taillés comme des silex : les batailles du passé étant malheureusement toujours d’actualité, l’injustice en prend encore pour son grade (Clean Kill, Inauguration Day, Have a Cup of Tea), la politique évidemment (le bluesy Last Thing), comme les relations superficielles et les réseaux sociaux, ces tribunes libres ou personne n’a jamais raison (Hard to Explain). Si la tension enfouie qui émane des paroles et qui habite cet album ne se concrétise que rarement, elle se ressent néanmoins tout du long, telle un fauve apaisé qui viendrait vous renifler le mollet en attendant patiemment que résonne le final Woulda Coulda, rappelant non seulement les rampements imprévisibles de Suggestion mais aussi l’effet laissé par Argument en clôture de la discographie de Fugazi.
En piochant entre ces deux parenthèses et en se laissant généreusement assaisonner de l’expérience The Evens, Coriky tombe à pic tant il vient combler de multiples manques : en s’éveillant d’abord au plus près du Fugazi qui s’est tu en 2001, et en sonnant plus largement le retour à un rock conscient, inspiré, intemporel et vrai. Enregistré dans des conditions live laissant la place aux erreurs, et livré dans son état le plus brut, ce premier album de Coriky n’a rien d’un coup d’essai tant Ian Mackaye, Joe Lally et Amy Farina y laissent éclater leur harmonie de longue date. Tous trois prennent ici un malin plaisir à redistribuer les cartes pour entamer une nouvelle partie passionnante, qu’on espère de tout coeur en plusieurs actes.
A ECOUTER EN PRIORITE
Clean Kill, Have a Cup of Tea, Last Thing, Inauguration Day, Woulda Coulda
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