22 Nov 24 Coilguns – ‘Odd Love’
Album / Humus / 22.11.2024
Post hardcore
‘C’est difficilement descriptible un feu de cette taille, l’effet que ça fait‘. Pour reprendre les mots des Coilguns eux-mêmes au moment de nous décrire les circonstances autour de l’enregistrement de Odd Love, il est effectivement difficile de décrire la puissance d’un incendie. Les quatre suisses n’ont ainsi pas seulement eu l’occasion de voir à quoi ressemble un brasier géant allumé à l’occasion de la fête de Midsommer, entre deux sessions sous la houlette de Scott Evans (Sumac, Ghoul) à Ocean Sound Recording, studio juché sur une plage idyllique de l’île norvégienne de Giske. Le brasier, il l’ont allumé eux-mêmes avec ce nouvel album, ainsi finalisé au beau milieu d’un paysage nordique sidérant de beauté.
Ce choc entre le feu et la glace illustre à merveille l’effet que procure ce disque. Le décor est planté dès le titre d’ouverture, We Missed The Parade : à la chaleur d’un fast beat punk hardcore se superpose la précision froide et métronomique d’un arpège de guitare simple en apparence, mais doté de renversements retors. Un rapide break vient casser la grille harmonique quelques secondes, annonçant un redoutable riff mid-tempo qui va rapidement emmener Coilguns vers les hauteurs stratosphériques du The Shape Of Punk To Come de Refused. L’ambition globale du projet est posée d’emblée. Elle ne sera jamais trahie, entre les élans épiques à la At The Drive-In de l’imparable Generic Skincare (soudain interrompus par un pont aux accents metalcore à la Converge !), l’intense et obsessionnel sludge-thrash-metal du nerveux Bandwagoning, le menaçant noise-rock du sournois Black Chyme, ou encore l’émotion ample, crue et vénéneuse qui se dégage de Venetian Blinds. Efficaces mais toujours subtils, évidents mélodiquement, imprévisibles dans leurs brusques changements de braquets stylistiques, les Coilguns soufflent le chaud et le froid avec un indéniable brio, magnifiés par une production et un mix à la fois profonds et limpides.
Cette maîtrise parfaite du contraste entre feu et glace se retrouve aussi dans la performance vocale de Louis Jucker. À fleur de peau – sur le fil d’un vibrato certes aigu, mais surtout aiguisé comme une lame – cette performance insuffle des atours mélodiques dans des parties au départ scandées et hurlées ; elle permet à Louis de passer avec une aisance confondante de la voix de poitrine à la voix de (forte) tête ; elle transmute un sifflotement ironique et léger sur Placeholders en une envolée éraillée et désespérée ; et elle donne le souffle nécessaire afin que chacune des sept minutes du gigantesque titre final Bunker Vaults puisse couper le votre… Bref, elle ouvre bien grand le champ des possibles, au diapason du talent des trois autres membres du groupe. Jonathan Nido s’avère en effet incroyablement versatile à la six-cordes, pyrotechnique sur tel ou tel passage de ses propres compositions, pour soudain en désosser un autre et n’en garder que la substantifique moelle. Kevin Galland explore avec gourmandise toutes les potentialités des instruments et pédales d’effets trouvés à Ocean Sound, que ce soit par l’entremise d’une basse saturée, d’un synthé apportant un apanage de textures cinématiques, ou encore d’un vieil harmonium – sans parler de cette improbable et délirante improvisation atonale au piano sur la conclusion de Caravel. Et enfin Luc Hess alterne rythmiques épileptiques, lourds coups de pression sur les toms, et breaks à la fois amples et ravageurs derrière les futs, apportant l’indispensable fondation sans laquelle tout l’édifice s’effondrerait.
Ajoutez à cela un propos forcément sombre sur nos sociétés autoritaires et superficielles, ainsi que la très classique mais inattaquable colonne vertébrale d’un tracklisting menant progressivement aux titres les plus aventureux sur la deuxième face du LP – dont le mélancolique, élégiaque et 100% atmosphérique The Wind To Wash The Pain – et vous obtiendrez un disque qui transcende tous les codes du post-hardcore, voire parfois même les dépasse. Coilguns voit désormais les choses en grand, et se donne les moyens de creuser les détails afin de rendre sa musique incontournable. Cette évolution ne surprendra pas les lecteurs de Mowno qui ont déjà eu la chance d’entendre leur collaboration passée avec Birds In Row, au départ enregistrée pour la revue #4. Mais c’est bel et bien Odd Love qui marquera le moment exact où les quatre suisses auront brûlé tous les navires laissés derrière eux. On appelle ça le baptême du feu.
No Comments