
28 Mar 25 Cocorosie – ‘Little Death Wishes’
Album / Joyful Noise / 28.03.2025
Folk psyché
Certaines musiques s’écoutent, d’autres se traversent comme des territoires hantés, peuplés d’échos et de silhouettes vacillantes. Depuis plus de vingt ans, CocoRosie façonne des paysages sonores qui tiennent autant du conte surréaliste que du rituel cathartique. Bianca et Sierra Casady ne composent pas des albums, elles tissent des sortilèges, bricolent des ex-voto soniques où les murmures de l’enfance croisent des beats lo-fi, où le folklore se frotte aux machines et où l’émotion brute reste la seule boussole. Little Death Wishes, leur huitième album, s’inscrit dans cette continuité : insaisissable, polymorphe, habité par une urgence douce et un chaos soigneusement orchestré. Le titre même du disque sonne comme une formule ambiguë, un oxymore poétique qui évoque aussi bien l’éphémère que le désir de survivre aux épreuves. Comme toujours avec le duo, chaque chanson est un collage où le kitsch et le sacré s’entrelacent, où les textures se superposent dans un étrange équilibre entre l’artisanal et l’éthéré. Little Death Wishes est un album qui refuse la linéarité, qui nous balade d’une litanie enfantine à un spoken-word théâtral, d’un éclat de pop distordue à des harmonies célestes abîmées par le bruit du monde. Si CocoRosie a souvent été perçu comme un projet marginal, c’est peut-être parce que les sœurs Casady n’ont jamais cherché à lisser leur propos ni à cadrer leur art. Elles préfèrent la réappropriation au conformisme, la récupération à la production formatée. Little Death Wishes ne fait pas exception : il est à la fois une mosaïque de sons dépareillés et une œuvre profondément cohérente, un manifeste intime et politique qui rappelle que la musique est un espace de transformation, où la douleur peut devenir beauté, et où les fantômes finissent toujours par chanter.
Dès les premières notes de Wait For Me, nous plongeons dans l’univers onirique de la fratrie, à l’intersection entre magie et féérie. Malgré cet ensorcellement, l’émotion est toujours fortement présente dans la musique de CocoRosie. Ici la chanson évoque une relation marquée par l’instabilité, la dépendance et l’attente. Elle décrit une figure féminine associée à la pauvreté et aux addictions, tout en explorant un attachement persistant malgré les difficultés (‘Hit her when she acted funny, Kiss her when she brought the money, Dreaming of her junky mommy, Crying when she’s feeling crummy’). L’addiction et le traumatisme sont des thèmes récurrents, sérieux et profonds mais toujours abordés musicalement avec une fausse légèreté comme sur le très enfantin Yesterday, ou encore sur Pushing Daisies, marqué par son beat saccadé et électronique, qui nous font bouger le squelette. L’éclectisme du duo est aussi sa marque de fabrique. Et c’est avec une joie non dissimulée que, sur les premières mesures de Cut Stitch Car, telle une madeleine de Proust, nous pensons à la musique de Kraftwerk, notamment en raison de son côté minimaliste et mécanique, avec des sons presque robotisés et synthétiques, qui rappellent l’esthétique froide et futuriste des pionniers allemands de l’électro. Après un court interlude quasi religieux, Luckless laisse un sentiment de résilience alors que les deux sœurs nous entraînent dans les méandres d’un rap désarticulé et sous acides avec Paper Boat. Belle métaphore sur la dérive émotionnelle et la perte ! Nous retrouvons cette empreinte entre Hip Hop et spoken-word avec Nothing But Garbage au texte cynique, acerbe et au vocabulaire cru, qui nous plonge entre obscurité et désillusion. En guest, Chance The Rapper vient apporter son flow fluide et poétique sur Girl In Town. A noter que les artistes avaient déjà collaboré sur l’album The Big Day du rappeur. Difficile avec CocoRosie de ne pas aborder la sororité que ce soit en termes de féminisme, de solidarité féministe ou de l’amour fraternel à l’instar de Least I Have You, une chanson sur le lien indéfectible entre sœurs, malgré une enfance marquée par l’instabilité et l’abandon parental.
Little Death Wishes confirme que CocoRosie n’a jamais cessé de repousser les frontières de la musique. Les sœurs Casady, toujours à l’avant-garde d’un univers sonore qui leur est propre, transforment chaque note en une exploration sensorielle unique où la douleur se métamorphose en beauté, où le chaos devient poésie. Ce nouvel album est une invitation à se laisser aller, à se perdre et à se retrouver car, comme le dit si bien le titre, dans l’éphémère de la vie, il y a toujours un désir de continuer à rêver et à aimer, même au cœur des ténèbres.
Photo : Ginger Dunnill
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