26 Fév 21 Cloud Nothings – ‘The Shadow I Remember’
Album / Carpark / 26.02.2021
Indie rock
La vieillesse est un naufrage. Même avec sa sympathique bouille d’éternel adolescent, Dylan Baldi est parfaitement conscient de cette tragédie, et ce alors qu’il n’a pas atteint la trentaine encore. ‘Am I older now? / Or am I just another age?’ se demande-t-il pendant que Cloud Nothings installe avec Oslo le décor initial de The Shadow I Remember, tout en longs accords épiques et autres bends distordus. Le festival de pyrotechnie qui suit a beau être plein de fougue, le propos reste grave. L’heure du premier bilan a sonné, marquant le début d’une phase parfois difficile à négocier pour un groupe de rock. Faut-il embrasser l’âge adulte ? Ou faut-il continuer à explorer le fantasme d’une jeunesse éternelle ? Certes, au moins, Baldi a le courage de poser la question. Sauf que la musique qu’il joue aujourd’hui se garde bien d’y répondre clairement. La cure de jouvence symbolisée par le retour de Steve Albini pour ce nouvel album, dix ans après les services rendus pour l’inoubliable Attack On Memory, n’est peut-être finalement ici qu’une façon de conjurer le sort. Avec de nombreuses réussites. Mais aussi quelques impasses créatives à la clé…
Non pas que cette position ambiguë soit une totale nouveauté. De fait, Cloud Nothings a toujours eu le cul posé entre deux chaises. Il y a les albums à pochettes sombres filant à toute berzingue, comme Here And Nowhere Else, quelque peu terne, linéaire et épuisant, ou encore Last Building Burning, à l’écriture et à la production beaucoup plus fortes et convaincantes. Et il y a ceux baignés de cette lumière indie-pop trahissant des envies d’horizons plus apaisés – Life Without Sound, sublime, ou le récent The Black Hole Understands, ‘album de confinement’ au son logiquement plus fluet, rendu uniquement disponible sur Bandcamp l’année dernière. Enregistré auparavant, mais sortant aujourd’hui, The Shadow I Remember est donc une tentative pour trouver une position mitoyenne entre ces pôles opposés, qui ne garderait ainsi que le meilleur des deux mondes.
Le hic, c’est que la galette dépasse à peine les 30 minutes, et qu’avec quatre titres très dispensables sur les onze qu’elle contient (plus une drôle de fève sur laquelle certains se casseront certainement les dents), on pourrait bien tous rester sur notre faim à l’issue de la pause déjeuner. Sur Only Light, le foisonnement habituel devient par exemple totalement brouillon, faute à un phrasé early hardcore particulièrement mal maîtrisé, voire bancal. Nara est une ballade mid-tempo un peu falote, qui ne va nulle part. La montée finale de A Longer Moon aurait fait des merveilles sur une de ces longues pistes dignes de Television dont les américains raffolaient tant autrefois. Mais elle n’est ici qu’une coda à une courte succession de parties sans grand lien logique entre elles, formant une compo indigente, comme écrite en passant. Et que dire de It’s Love, improbable mash-up du Tommy des Who avec le punk rock de Adolescents ? Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Que l’on se rassure tout de suite, pour le reste, Cloud Nothings déroule à la quasi-perfection son programme habituel. Emotions toujours aussi palpables dans la voix éraillée de Baldi, chœurs romantiques et élégants derrière, emballements soudains de la rythmique, guitares agitées, se cherchant des noises en permanence… Tout y est. On notera par exemple la frénésie vocale de The Spirit Of, le court mais magistral solo tout en zigzags sur Open Rain, ou encore le poignant singalong final de The Room It Was, qui conclue le disque – et lui donne même son nom, d’ailleurs. La voix fragile mais gracieuse de Macie Stewart, de Ohmme, apporte un vent de fraicheur à la bombinette pop Nothing Without You. Et sur ce morceau comme sur beaucoup d’autres, de subtils arpèges de piano apportent un habillage discret mais essentiel.
Reste la fameuse fève, à savoir le single Am I Something, qui selon les écoutes, pourra faire osciller entre adhésion émue à son refrain existentiel et franche irritation pour la caricature que Baldi y fait parfois de lui-même, par exemple en poussant certaines de ses outrances vocales à leur paroxysme. Rauque’n’ Roll ? Spontanéité punk ? Auto-complaisance un peu rapide ? Ou calcul futé pour souligner le sujet abordé dans les paroles, à savoir l’envie irrépressible de se faire remarquer dans un univers forcément indifférent à votre présence ? À lui seul, ce titre résume l’ambiguïté qui caractérise toujours Cloud Nothings aujourd’hui, ainsi que ce disque. Et comme Dylan Baldi a toujours été un gars précoce, difficile de savoir si c’est une énième crise d’adolescence, ou alors une crise de la quarantaine avec tout juste dix ans d’avance.
A ECOUTER EN PRIORITE
Oslo, Nothing Without You, The Spirit Of, Open Rain, Am I Something, The Room It Was
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