Chalk – ‘Conditions III’

EP / Nice Swan / 21.02.2025
Electro post punk

Celles et ceux qui ont eu la chance de voir Chalk sur scène le savent : les Belfastois y développent une dramaturgie fascinante et éloquente, tout en ombres et lumières, alternant les vagues monstrueuses d’électro-punk et les phases plus ambient permettant l’éclosion d’une sensibilité océanique. Ce sens de la mise en scène se retrouve non seulement dans les clips du trio, mais également dans la conception des EPs que celui-ci enregistre depuis deux ans. La composition de chacun d’entre eux obéit en effet à l’exigence de conduire l’auditeur dans des états émotionnels variés mais pourtant reliés rigoureusement les uns aux autres, formant dans leur totalité une expérience cohérente et signifiante. Avec la sortie de Conditions III, presque deux ans après Conditions I, on remarque le souci permanent de Ross Cullen (chant), Benedict Goddard (guitar, claviers) et Luke Niblock (batterie) d’assurer une unité entre les différentes phases de leur évolution musicale. Ainsi, le premier EP impressionnait avec son enfilade de titres violemment accrocheurs, à l’impact aussi brutal que revigorant, mais proposait également un dernier morceau plus atmosphérique anticipant Conditions II. Ce dernier, par ailleurs, faisait avec Claw une incursion jouissive dans une forme plus souple de l’électro, voie poursuivie plus avant par le troisième EP, lequel se présente également comme une synthèse de l’ensemble de la démarche en proposant quatre titres exemplaires de tous les chemins parcourus par le groupe depuis mai 2023, mais initiant dans le même temps et subtilement de nouvelles voies à emprunter à l’avenir.

Leipzig 87 et Tell Me frappent directement au coeur avec leurs beats électro incisifs mais aussi – et paradoxalement – moelleux. On s’imagine aisément dans un club berlinois, sombre et angoissant, mais accroché et conduit par une musique séduisante et secrètement chaleureuse. Il y a là une recherche de la texture sonore dans laquelle pourront se rejoindre des directions opposées. Afraid, qui s’intercale entre eux deux, se rattache plus nettement aux morceaux de bravoure de Conditions I, Velodrome en tête, avec lequel il partage cette capacité stupéfiante à combiner lourdeur et vitesse. Pool Scene, lui, tisse des liens avec Conditions, toujours sur le premier EP, ou avec Bliss sur le second, et s’impose comme une nouvelle variation de cette structure de type ascensionnelle qu’affectionnent les Irlandais, capable de générer progressivement une forme d’espoir, ce qui, à défaut de caractériser notre actualité, peut bien dessiner une porte de sortie rendant possible un avenir.

Chalk clôt, avec Conditions III, sa trilogie initiée en 2023, laquelle peut se révéler à présent comme une œuvre singulière, créant un équilibre entre d’un côté le pôle de l’angoisse et de la colère et, de l’autre, celui de la joie et de la confiance en tout ce qui nous entoure. Tout au long de ces deux années fructueuses qui ont vu le trio de Belfast s’imposer sur scène, celui-ci s’est efforcé de créer des voies de passage entre ces deux expressions de la sensibilité, prouvant par ces va-et vient entre deux extrêmes qu’il se refusait à toute rigidité dans l’affirmation de son identité musicale. Mais en assouplissant en partie son son, Conditions III révèle peut-être mieux que ses prédécesseurs la particularité de cette identité : le refus du dualisme strict, de l’opposition violente entre les contrastes du noir et du blanc, l’attention exigeante à la zone de l’entre-deux, là où les forces contraires se rencontrent et se fécondent. Il nous faut des groupes comme Chalk aujourd’hui, qui définissent pour notre époque la seule éthique digne de ce nom : celle qui oblige à sortir de soi pour s’ouvrir à l’autre, ce qu’exprime magistralement et magnifiquement Ross Cullen à la fin de Pool Scene : ‘Without you, I’ll never Learn‘.