
07 Mai 25 Car Seat Headrest – ‘The Scholars’
Album / Matador / 02.05.2025
Opéra rock
Proposer un opéra rock en 2025 peut sembler ambitieux, provocateur, voire masochiste. À une époque où les singles éclipsent les albums et se déclinent en vidéos sur les réseaux sociaux, Car Seat Headrest s’en amuse. Comme un pied de nez au buzz généré par certains de ses morceaux sur TikTok (notamment Sober to Death, devenu viral au point de rajeunir considérablement son public), le quatuor originaire de Virginie propose The Scholars, un opéra rock donc, composé de titres qui s’étendent de 3 à 19 minutes.
Projet audacieux ou dessein pompeux ? À chacun de trancher. Toujours est-il qu’il faut une certaine confiance en soi pour envisager de s’inscrire dans la lignée de Tommy des Who ou de Ziggy Stardust de Bowie. La comparaison a beau être trop écrasante pour être honnêtement soutenue, elle soulève une question : l’opéra rock n’incarne-t-il pas, en soi, le naufrage grandiloquent d’une ambition démesurée ? De The Hazards of Love des Decemberists à ATUM des Smashing Pumpkins, les exemples abondent en ce sens. Car ce format si particulier entraîne avec lui un certain goût pour l’emphase, bien éloigné des racines DIY et lo-fi d’un Car Seat Headrest qui, aujourd’hui, vise clairement le panthéon du rock.
Reste que The Scholars – qui, au fil de ses titres, suit différents personnages d’une université fictive – a plus d’un tour dans son cartable. Sa richesse mélodique en premier lieu. Le spectre est large et contrasté, allant de la ballade folk intime (Lady Gay Approximately) à l’hymne pop calibré pour les stades avec refrains en chœur et montées extatiques (The Catastrophe). Il faut dire que Will Toledo a un véritable don pour accoucher de ces mélodies aussi efficaces qu’entêtantes qui, ici, font toute l’ossature de l’album. Sa voix de leader, omniprésente, dominante sur scène comme en studio, plus assumée que jamais, pose la touche finale et essentielle d’une instrumentation dense.
La production est un autre point fort du disque. Riche, dense, minutieusement arrangée, elle tranche radicalement avec les débuts rudimentaires de la discographie de Car Seat Headrest. Le pari de livrer un album de rock très produit sans sombrer dans le kitsch était audacieux, mais force est de constater que le quatuor s’en sort avec aisance : loin d’être une simple réplique nostalgique des oeuvres phares qui ont bercé l’adolescence de Will Toledo,The Scholars est porté par un son hybride, aussi moderne qu’il est ancré dans l’héritage du classic rock. Toujours à bonne distance des tendances actuelles de l’indice rock, ses textures aériennes, introspectives ou éthérées imposent une esthétique sonore massive : les guitares s’autorisent des soli, les riffs sont affirmés, et l’ensemble dégage une puissance presque anachronique. Parions que les nostalgiques des charts dominés par le rock trouveront ici de quoi nourrir leur enthousiasme.
Cette attention particulière portée à la fois aux mélodies et à la production aurait pu suffire à The Scholars pour se distinguer du reste de la discographie du groupe. Sauf que Car Seat Headrest a voulu frapper un (très) grand coup, au risque de trébucher, emporté dans son propre élan. En témoignent ces morceaux à rallonge – Gethsemane (10 minutes), Reality (11 minutes 30), ou encore Planet Desperation, dont les 19 minutes évoquent, dès l’introduction, un hommage voilé au Five Years de Bowie – dont la longueur ne garantit ni profondeur ni cohérence. Chaque segment de ces titres fonctionnant souvent très bien isolément — notamment les passages les plus dépouillés comme le très beau piano-voix qui clôt Planet Desperation —, c’est l’articulation entre ces sections qui laisse parfois à désirer, et qui finit par rendre l’écoute aussi fascinante que lassante.
L’ambition démesurée a longtemps fait partie de l’ADN des grandes figures du rock : relire les interviews de Bowie ou Lou Reed suffit à s’en convaincre. Mais en cherchant à égaler ses idoles, Car Seat Headrest a aussi hérité de leurs travers. Si le caractère novateur des ainés a souvent arrondi les angles, le projet du groupe de Virginie s’inscrit, lui, davantage dans un revival démesuré, à la mégalomanie moins classe. Avec un peu plus de retenue, d’épure et une structure plus resserrée, The Scholars aurait pu faire mouche. Il ne restera qu’une œuvre ambitieuse, parfois brillante mais plus souvent desservie par sa trop grande complexité.
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