04 Déc 23 Camilla Sparksss – ‘Lullabies’
Album / On The Camper / 24.11.2023
Pop onirique
Reine des territoires hybrides, à la fois familiers et hostiles, Barbara Lehnoff revient sous le nom de son alter ego Camilla Sparksss pour nous livrer, quelques semaines seulement après la parution du nouveau disque de Peter Kernel, un album qui s’écarte des univers électroniques et souvent virulents de ses précédentes productions.
Mais une fois n’est pas coutume, parlons d’abord de l’objet : présenté comme un album audiovisuel, Lullabies est particulièrement pensé ici pour le format vinyle. Celui-ci se décline en effet tout spécialement pour l’occasion dans une version animée, au design soigné, inspiré du phénakistiscope de Joseph Plateau, ce fameux jouet optique qui a considérablement fait avancer les technologies qui mèneront à l’invention du cinématographe à la fin du XIXème siècle. Et XIXème siècle, cet album l’est, quelque part. Imprégné d’un univers enfantin, presque féérique, il impose aux oreilles les images que délivrent les dessins imprimés sur le disque, ceux-ci se reflétant et s’animant sur les parois du miroir fourni, en kit – sa conception fût toute une histoire pour ne pas dépasser des limites de poids, de coûts de production et de … sécurité tout simplement – dans le packaging. Il faut le (sa)voir pour le croire. Pourtant, même sans cet étrange dispositif, plus expérience augmentée qu’option dérisoire, la magie opère, indubitablement. Car ces berceuses d’un autre temps – et peut-être même d’un autre monde – s’adressent bien aux adultes que nous sommes mais aussi sans doute, un peu, aux enfants qui sommeillent encore en nous.
Paisibles, doux, poétiques, ces huit titres le sont assurément. Et la première chose qui frappe, avant ses textes, la profondeur de son concept et sa volonté de rupture avec ses prédécesseurs, c’est peut-être encore l’absence manifeste de batterie et d’instruments de percussions. Alors que le duo casqué le plus célèbre du monde se livrait le mois dernier à une énième opération marketing en supprimant de son ultime opus les pistes batteries sous couvert d’expérience musicale – à quand la vente directe de sessions ProTools ou de pistes séparées pour relancer la carrière de DJs en manque de remix ? –, Peter Kernel s’entichaient eux, le mois précédent, de la présence de onze batteurs différents sur son bien nommé Drum To Death. Pourtant, il n’y a pas que dans les arpèges électroniques old school de Hanging Around qu’il y a du Daft Punk dans le nouveau Camilla Sparkks puisqu’ici aussi, les kicks snares et autres hi-hats sont aux abonnés absents.
Un peu comme si les voix, véritables polyphonies célestes de chœurs angéliques (My Way My Love) ponctuées de cordes jouées pizzicato et de discrets accords de piano masquant une potentielle présence cuivrée, avec des sons toujours coincés entre acoustique et synthèse, se suffisaient amplement à eux-mêmes pour faire valser nos âmes. C’est peut-être là la force du Mellotron, instrument phare de ce Lullabies, que vient sublimer la dimension plus spoken word que chantée (The Imaginary You) de la grande majorité des titres. Récitatif, contemplatif, parfois glacial et immensément mélodique, dans l’économie des sons et dans la précision des mots, ce sont les plus belles plages ambient – de New Order (Temper Temper Mother Nature) à M83 (Watch Me) – qui nous reviennent alors en mémoire, comme des territoires oubliés de nos existences parfois dévastées. Un disque enchanteur et enchanté.
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