11 Nov 24 Bryan’s Magic Tears – ‘Smoke & Mirrors’
Album / Born Bad / 08.11.2024
Rock
Lorsqu’en septembre dernier, Stream Roller est parvenu à nos oreilles impatientes, on était prêt à ressortir bobs, lunettes en plastique coloré, tee shirts et jeans larges – que l’on ne portait pourtant pas en 1989/1990 – pour enflammer n’importe quel dancefloor prêt à diffuser le single le plus cool de l’année. Cette rythmique irrésistible, ondoyante et vibrante, ce refrain narquois et imparable, ces touches électroniques discrètes mais stimulantes, faisaient désespérer de ne pas pouvoir participer à la fête organisée dans le clip accompagnant le morceau, mais attisaient également comme jamais le désir d’en écouter plus du nouvel album de Bryan’s Magic Tears. La question était là, pourtant, depuis quelques temps, lancinante et inquiétante : que faire quand on a sorti, en 2021, un véritable chef d’oeuvre, devenu maître étalon d’un genre que l’on pourrait qualifier grosso modo de shoegazing revu à la sauce Madchester ? Réponse des parisien.nes, d’une simplicité parfaite : en sortir un autre en 2024, aussi bon sinon meilleur que le précédent. Sans doute que l’élaboration d’un nouvel album n’est jamais un long fleuve tranquille, mais Smoke & Mirrors donne pourtant cette impression d’aligner avec une facilité déconcertante des tubes, rien que des tubes, dont l’excitante et lumineuse évidence cohabite avec la densité de l’environnement sonore. Et c’est ce qui explique qu’on l’écoutera encore et encore, ce disque, parce qu’il produit à chaque morceau un enthousiasme renouvelé, lié à ses stupéfiantes qualités mélodiques, en donnant pourtant dans le même temps le sentiment de toujours nous échapper par la richesse de son instrumentation.
On est à nouveau happé par cette musique merveilleusement colorée, dont les différentes teintes semblent avoir pour objectif d’éveiller toute une diversité de pensées et émotions peuplant notre monde intérieur, mais à la différence près qu’ici le baggy beat, caractéristique du son de Bryan’s Magic Tears depuis Vacuum Sealed, s’étend à la quasi totalité de l’album et nous incite à extérioriser notre rêverie par le biais de la danse. C’est là sans doute la puissance de cet opus : mettre en mouvement les corps par le biais d’un imaginaire chatoyant afin de réenchanter le morne quotidien. Benjamin Dupont, la tête pensante du groupe, est parvenu à ce magnifique résultat non seulement en se surpassant en terme de composition, mais également en intégrant des éléments électroniques à ses morceaux, leur attribuant par là même une dimension pop inédite magnifiant leur mélancolique nonchalance, comme l’entame Crab Kiss en offre un bel exemple. Pour autant, il ne faut pas croire que Smoke & Mirrors ait coupé le cordon avec ses influences les plus électriques, Deep Blue s’inspirant des guitares mouvantes de My Bloody Valentine, tandis que Stalker lorgne du côté de celles, plus rêches, de Ride. Ailleurs, comme sur le troublant Side By Side, ce sont les constructions tortueuses et vénéneuses de The Jesus And Mary Chain qui sont rappelées. Du côté des voix, la complémentarité entre celle de Benjamin Dupont et celle de la bassiste Laurianne Petit fait des merveilles. Si le premier a des accents de Jim Reid ou Shaun Ryder, oscillant entre innocence et arrogance, la seconde conjugue une certaine forme de détermination avec des manifestations remarquables de délicatesse, notamment sur Deathrow, la très belle ballade inspirée des Cocteau Twins en milieu d’album. De ballade, il est en est encore question avec le somptueux dernier morceau, Lady D, dont la touchante simplicité initiale se transforme progressivement en élan puissant et réconfortant, évitant avec bon goût toute emphase inutile.
On l’aura compris, nous sommes en novembre et Bryan’s Magic Tears, mieux que l’arrivée du Beaujolais Nouveau, fait d’une fête l’entrée habituellement morose dans l’automne. Smoke & Mirrors nous rend heureux quand il pleut et empêche toute résignation face à la grisaille et à la décadence ambiantes. Un peu de cette poudre aux yeux et l’idée d’un Autumn of love devient contre toute attente possible, ce disque ayant le pouvoir magique de faire éclater de la couleur un peu partout autour de nous, métamorphosant toutes nos sensations pour qu’elles deviennent plus légères et euphorisantes. En définitive, si Cioran pouvait dire que ‘la musique est une illusion qui rachète toutes les autres’, n’était-ce pas au fond parce qu’elle est celle qui parvient à se transformer en réalité ?
Photo : Marie Fleur Hoffman
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