Bruit ≤ – ‘The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again’

Bruit ≤ – ‘The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again’

Album / Elusive Sound / 02.04.2021
Post rock

Concilier capitalisme intégral et véritable écologie est une absurdité sans nom. Voici, en substance, le message que les toulousains de Bruit ≤ délivrent avec leur premier album, The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again. Que ce message soit parfaitement clair à l’écoute d’une œuvre à 100% instrumentale – plus deux petits inserts – en dit long sur le talent et l’inspiration de ce quartet composé de (multi-)instrumentistes chevronnés, à savoir Clément Libes (basse, violon, claviers), Théophile Antolino (guitare, bandes), Julien Aoufi (batterie) et Luc Blanchot (violoncelle, textures synthétiques).

Au cas où certains voudraient quand-même s’enfoncer dans le déni, le dossier de presse rapporte un petit conte : ‘Celui qui vendait du temps au temps a scié la branche sur laquelle il était assis puis l’arbre sur lequel était la branche. N’ayant plus d’ombre pour s’abriter, il était temps pour lui de faire face à la colère des autres ou de se confronter à la brûlure du soleil. Alors, dans les cendres de l’industrie encore fumante poussa le premier germe d’un nouveau grand arbre. Certains assurent lire sur son écorce l’histoire du monde d’après. La patience repoussa les limites de l’imagination et l’humilité redonna au temps sa baguette de chef d’orchestre. (…) Ils construisirent alors l’industrie qui vendait du temps au temps. Leur chef, en symbole de pouvoir, grimpa au vieil arbre et s’assit sur sa plus haute branche. Alors, l’histoire se répéta encore, assez lentement pour que les humains aient toujours la sensation d’avancer alors que, du début à la fin, ils tournaient en rond’.

Cette histoire – notre histoire – Bruit ≤ la raconte en un cycle parfait de quatre longs titres, minutes à la fois puissantes par leur pouvoir d’évocation et hallucinantes de maîtrise technique. Industry narre la chute initiale, basses vrombissantes, batterie hachée par de multiples syncopes frénétiques et imprévisibles, illustrant un mécanisme qui s’emballe jusqu’à être hors de tout contrôle. Le tic-tac d’un clic réglé comme une horloge – ce temps vendu au temps du capitalisme meurtrier – cède rapidement la place à des glissandos de cordes tragiques et des nappes de guitares saturées et reverbées, jouées à l’E-Bow ou à coup de shreds rageurs. Incontournables du genre post-rock, ces envolées ont chez Bruit ≤ une sonorité glaçante qui ne ressemble à rien de connu, à tel point qu’une grêle radioactive ou une pluie acide paraîtraient plus clémentes en comparaison. Rarement le smog industriel n’aura été aussi bien mis en musique, si ce n’est chez Godspeed You! Black Emperor, ou encore dans le Ratts of the Capital de Mogwai. À la fin de cette ouverture, un insert du grand sage Albert Jacquard annonce : ‘Moi, je crois que ce système économique qu’on est en train de développer ,c’est le système de la lutte en permanence. Il faut que je l’emporte sur l’autre, il faut que je sois premier, il faut que je sois compétitif. C’est absurde, ça n’aboutit qu’à des catastrophes (…). C’est ça qu’il faut complètement stopper, on peut très bien s’apercevoir qu’une société pourrait être construite sans compétition’.

Renaissance déroule la bande-son de cette harmonie retrouvée. Le vieil arbre est tombé, un nouveau repousse, plein de promesses pour l’avenir. Un gracieux picking de guitare folk annonce des jours meilleurs après la catastrophe, écrin bucolique pour une petite ritournelle heureuse, jouée à la fois au piano et au vibraphone. Bruit ≤ semble explorer les riches terres autrefois foulées par Tortoise pour son TNT, dans un contrepied total par rapport au premier titre.

Mais les travers de la civilisation humaine reprennent vite le dessus. Old Amazing Tree est une lamentation en mode ambient qui serre la gorge, élégie digne mais funèbre en hommage à un autre arbre multi-centenaire abattu par la folie des hommes. ‘Le vrai radicalisme, c’est détruire 95% d’une forêt, pas défendre les 5% qui restent‘, déclare une voix en anglais. Et ainsi, le cycle de destruction atteint une nouvelle apogée à travers le final épique donnant son nom à l’album, et qui reprend toutes les ambiances déjà entendues. Cette apothéose post-metal aux accents orientaux, byzantins, soutenue par un ensemble de cuivres, place définitivement Bruit ≤ au niveau de Isis, Explosions In The Sky, ou même Godspeed, dans une version plus froide, technologique et moderne, mais traversée par les mêmes interrogations inquiètes sur notre époque. Hasard du calendrier, la légendaire formation canadienne sort un nouvel opus le même jour, et on sera tenté de comparer les deux propositions, ce qui les relie et ce qui les sépare. Mais parler de compétition ou même de ‘niveau’ serait trahir le propos de Bruit ≤ lui-même. Les prophètes du sublime apocalyptique méritent mieux qu’une place sur un podium. Et ce qu’ils montrent, sans prononcer aucun mot, transcende in fine tout discours.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE


Pas de commentaire

Poster un commentaire