Bravery In Battle – ‘The House We Live In’

Bravery In Battle – ‘The House We Live In’

Album / Acts of Love / 09.06.2023
Post-rock militant

L’art permet-il de conscientiser un individu ? Ne serait-ce pas là son rôle le plus essentiel, permettant à chacun de renouer avec la collectivité humaine ? Bravery In Battle a une réponse sans appel à cette interrogation qui a déjà taraudé nombre de candidats au bac de philo. Oui, l’art faisant partie du monde, il peut et même doit nous permettre d’accéder à un niveau de conscience supérieur – surtout quand il s’agit de défendre une grande cause. Personne n’en sera surpris, l’écologie est cette grande cause pour laquelle Paul Malinowski, Romain Méril et leurs camarades s’engagent à travers la méticuleuse conception de leur titanesque œuvre multimédia The House We Live In. Non, il ne s’agit pas de l’honteux greenwashing dans lequel se complaisent les infâmes néolibéraux au pouvoir, en France ou ailleurs. On parle ici d’une vraie écologie, qui se décline par l’entremise d’interviews d’économistes, scientifiques et autres activistes invités à participer à l’album (Bill McKibben, Jean-Claude Ameisen, Hubert Reeves, Vandana Shiva, Clive Hamilton, Paul Hawken et John Francis). Émaillant en mode spoken word une bonne moitié des compositions, ces entretiens permettent d’évoquer l’interconnection du monde vivant, la nécessité d’une décroissance économique, ou le rôle délétère joué par la sphère capitaliste. Ce faisant, ils soulignent le besoin de ralentir, et surtout d’agir, ensemble ou individuellement, afin de sauver cette bonne vieille planète bleue en péril.

La bonne parole n’est toutefois pas la seule arme brandie par Bravery In Battle. L’image l’est aussi, grâce à un sublime documentaire tourné par le groupe lui-même, illustrant l’intégralité de l’album à travers des séquences hypnotiques sur la nature et l’activité humaine qui rappelleront aux connaisseurs le Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio et Philip Glass (au propos déjà très similaire il y a quarante ans). Si Reggio et Glass avaient fait le choix de laisser les images parler d’elles-mêmes, on notera que Bravery In Battle assume lui au contraire pleinement le caractère didactique de son entreprise, notamment grâce à un livre reprenant les entretiens menés par le collectif avec ses prestigieux interlocuteurs, à la fois pour le disque et pour le film. De fait, tout était déjà disponible hors-ligne en 2020, lors des confinements. Et trois ans plus tard, à l’occasion de la sortie de l’album en numérique, le groupe parisien remet donc le couvert pour mieux faire connaître son travail et son engagement, avec l’idée d’une prestation scénique en tête.

Le post-rock est évidemment un écrin idéal pour traiter de ce sujet aux conséquences potentiellement apocalyptiques – les toulousains de Bruit nous l’ont d’ailleurs rappelé il n’y a pas si longtemps avec leur sépulcral The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again. Peut-être moins novateur que ce dernier, mais encore plus aérien et ‘symphonique’ (apports de cordes, de cuivres, de métallophones…), The House We Live In pioche ainsi dans les grammaires d’Explosions In The Sky, PG Lost et Sigur Rós pour évoquer avec un certain optimisme toutes ces questions pourtant brûlantes. Élégiaques, les suites d’accords shredées à la guitare s’enchaînent avec évidence, les montées sont à la fois épiques et teintées d’espoir, et le tout donne aux images du film un souffle incontestable. À moins que ce ne soit l’inverse : la béatitude d’Earthlings, composition enlevée mais à la limite de Coldplay, prend ainsi tout son sens quand elle est adossée à la succession de vignettes montrées dans le documentaire.

Le propos général reste grave pourtant. En atteste la profondeur de cette magnifique section de cuivres sur le doublé Commons (featuring Vandana Shiva, dont on appréciera la précision chirurgicale du discours) et Here Be Giants. En attestent également les textures charbonneuses de The Parliament Of Things. Mais ‘grave’ ne signifie pas forcément anxiogène. Tout juste sentira-t-on des rythmiques et structures un peu plus originales et ‘tendues’ sur Wetico, New World et Une Partie de ce Monde – et ce en dépit de l’ambiance naïve de l’instrumentation sur cette dernière, soulignée par le phrasé enjôleur de l’immunologiste JC Ameisen, qui nous donnerait presque l’impression de regarder un épisode d’Il était une fois la vie. Et en parlant de naïveté, le poème lu par l’actrice Mélanie Laurent sur J’appartiens à la Terre est lui aussi un moment assez étrange, signe que la folle ambition et la générosité de Bravery In Battle peut l’emmener sur des terrains un peu glissants au cours de son programme de 1h20.

Heureusement, le souvenir de ces écueils s’estompe rapidement en réécoutant The Market et A Concept, pistes aussi pertinentes que les discours de Clive Hamilton et Paul Hawken qu’elles mettent en exergue. Sur ces deux titres, on trouve au passage LA marque de fabrique de Bravery In Battle, maintes fois réutilisée ailleurs – à savoir une technique empruntée à Steve Reich qui permet de souligner les extraits vocaux à l’aide de petites phrases musicales, le plus souvent jouées sur des métallophones ici (vibraphones, glockenspiel, cloches…). Chez Reich, cette ‘musicalisation’ de la parole était tout sauf didactique : ouverte à de multiples interprétations, ce travail sur les voix conduisait à une forme de méditation que The House We Live In n’atteint que par moments épars. Là encore, on peut s’interroger sur l’autonomie de la musique du groupe quand elle n’est pas portée par les images du film… Mais avec un client tel que le ‘planetwalker’ John Francis sur The Human Speed par exemple, au phrasé déjà naturellement musical, cette même technique permet d’obtenir une puissance poétique rare. C’est dans ce genre de fulgurances, lorsque l’optimisme et l’attirail conceptuel de Bravery In Battle se trouvent en totale harmonie avec le matériel sonore qu’il utilise, que le groupe trouve la spontanéité nécessaire pour faire passer au mieux son message.

Paul Malinowski est à l’évidence quelqu’un qui aime les ambiances lumineuses. Illustrer par la musique le pouvoir malfaisant des forces obscures menant le monde à sa perte – l’avidité du capital, l’apocalypse climatique, nos pulsions de mort ou la tristesse de nos aliénations modernes – tout cela semble contre-intuitif pour le compositeur parisien, voire contre-productif par rapport à la cause qu’il défend. On sait pourtant que cette option a fait les grandes heures du post-rock, de Godspeed You! Black Emperor à Swans, voire même Mogwai… Là est l’originalité de la proposition de Bravery In Battle : trouver le courage nécessaire pour parler de choses sérieuses avec un cœur léger. Il y a donc une chose essentielle que ce disque par ailleurs foisonnant d’idées, de paroles et de textures nous permet de méditer. Et tout comme notre maison Terre, c’est une chose précieuse.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Commons, Here Be Giants, The Market, Wetico, A Concept, That Human Speed


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