25 Mar 21 Blanck Mass – ‘In Ferneaux’
Album / Sacred Bones / 26.02.2021
Electro expérimentale
Vous vous souvenez des années 70 ? A cette époque où le vinyle régnait sans partage, des perles un peu particulières sortaient régulièrement du lot, constituées de deux longues suites instrumentales qui prenaient chacune une face toute entière de l’album. Avec parfois un seul titre pour nommer l’ensemble, ainsi divisé entre ‘part 1’ et ‘part 2’. Du rock pseudo-symphonique de Mike Oldfield aux longues plages froides et synthétiques de Tangerine Dream et Klaus Schulze, ce format a fait le bonheur de nombreux fans de rock progressif, de krautrock, ou de musique planante en général. Contre toute attente, c’est ce format qu’utilise Blanck Mass aujourd’hui dans In Ferneaux. Contre toute attente… ou presque.
Car, on aurait tendance à l’oublier aujourd’hui, mais avant de nous livrer le triplé Dumb Flesh – World Eater – Animated Violence Mild, Benjamin John Power ne faisait pas encore dans l’élucubration technoïde digne de la plus dépravée et de la plus malsaine des fêtes foraines – mêlant ambiance dystopique, vulgarité outrancière, mélodies aussi racoleuses qu’une prostituée postée entre le stand des auto-tamponneuses et celui du train fantôme, arrangements bruitistes et voix black metal, le tout au sein d’un écrin sublime de boucles scintillantes et de textures chatoyantes comme une Porsche neuve. Non, le premier album éponyme de Blanck Mass déployait lui un style beaucoup moins tape-à-l’oeil, dans la plus pure tradition des grandes heures de l’ambient électronique. In Ferneaux reviendrait donc à cette esthétique originelle. Les velléités bruitistes, abrasives ou maximalistes de Power sont toujours présentes. C’est juste qu’elles ont trouvé ici une nouvelle manière de s’exprimer.
On passera donc vite sur l’introduction Starstuff, edit des 6 premières minutes de Phase I et seul moment qui aurait trouvé sa place parmi les poignées de barbapapa aromatisées au soufre du précédent opus. L’efficace boum-boum techno qui conclut cet extrait joue ici le même rôle que la ritournelle au piano entamant le Tubular Bells d’Oldfield : Benjamin John Power appâte le chaland, mais c’est pour mieux l’emmener ensuite sur des terres autrement plus arides. À savoir une alternance entre field recordings accumulés depuis plus de 10 ans (conversations, sons de la nature, percussions, foules…), drones industriels ou bruits blancs oppressants, et pour finir, envolées libératrices aux claviers, dénuées du moindre beat ou de la moindre percussion. Cette alternance se répète tout au long des deux pistes, sans trop de surprises, jusqu’à la délivrance finale, jouée sur un piano mélancolique noyé d’échos liquides en tous genres.
In Ferneaux propose donc une expérience qui, selon les auditeurs, pourra s’avérer transcendante ou au contraire assez hermétique. Mais même en n’adhérant pas totalement au propos, l’écoute de l’ensemble fait sens. En atteste par exemple la manière dont l’ultime note d’espoir de l’album est annoncée dès le field recording du début de Phase II, probablement le plus marquant de tous. On y entend un prêcheur de rue afro-américain déclarer que le chemin qui mène à la bénédiction est rempli de malheur, et que l’un ne peut exister sans l’autre. Si on n’est pas encore au niveau de Godspeed You! Black Emperor avec cet insert, les nappes surgissant du néant à la fin de l‘enregistrement ont tout de même leur petit effet poignant. Préciser à ce stade que la pandémie et les confinements à répétition ont influencé la conception du disque ne sera une surprise pour personne. L’enfer d’In Ferneaux ne serait ainsi pas les autres mais nous-mêmes, coincés entre les souvenirs du passé (les field recordings) et l’isolement du présent (les drones insistants).
Restent les moments de lumière, beaux mais un peu étouffés au sein du collage global pour pouvoir vraiment exister, et ainsi éviter l’écueil de certaines longueurs. Les coutures se voient encore un peu trop dans la petite tapisserie de l’Apocalypse tissée par Blanck Mass aujourd’hui. Au vu des nombreuses possibilités créatives offertes par ces longues plages de 20 minutes, on est toutefois curieux de voir si Benjamin John Power rempilera sur ce format à l’avenir, que ce soit en solo ou avec son partenaire de Fuck Buttons. En espérant que, plus que le concept général, ce sera cette fois-ci le contenu proposé qui sera dantesque de bout en bout. En bon explorateur des extrêmes, Power le sait sans doute déjà : le diable se niche souvent dans les détails.
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