
25 Mai 20 Blake Mills – ‘Mutable Set’
Album / Verve / 08.05.2020
Expérimental
Intriguant, complexe, subtil, particulier… Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier l’étrange nouvel album de Blake Mills, synthèse très personnelle entre ses débuts country-folk et les expérimentations instrumentales de son précédent opus ambient Look. Guitariste de grands noms comme Fiona Apple, et producteur désormais réputé (Alabama Shakes, Laura Marling, Perfume Genius), Mills a aujourd’hui les moyens et l’assise technique pour pouvoir suivre ses instincts sans rendre de comptes à personne. Et s’il a décidé de revenir au format chansons avec Mutable Set, force est de constater que celles-ci n’obéissent à aucune logique connue.
L’album porte admirablement bien son nom. Rien n’est fixe ou parfaitement identifiable chez Mills. Certains morceaux s’étirent inexplicablement alors que d’autres que l’on commençait tout juste à trouver familiers s’achèvent sans raison apparente. Tout juste reconnait-on certaines progressions d’accords héritées du jazz ou du blues, quelque part entre Chet Baker et Nina Simone (Summer All Over, Window Facing A Window, très Fodder On Her Wings dans l’âme). Tournant en spirales autour de notes dominantes qui refusent obstinément de surgir parfois, ces sables mouvants laissent comme une impression d’inachevé à l’ensemble. Impression qui est clairement le but recherché ici.
Non pas que l’ambiance soit glauque ou angoissante. Elle vous laisse juste en suspens, dans une stase cotonneuse soulignée par une captation sonore au plus proche des timbres et instruments. Ici un glissement de main sur les frets d’une guitare acoustique, là le grincement de la pédale d’un piano. Et ailleurs, une multitude d’autres détails de ce genre pas toujours immédiatement perceptibles. De fait, on entre dans cette alcôve un peu intimidé, avec l’idée que le moindre manque d’attention de notre part pourrait nous amener à nous prendre les pieds dans le tapis, faisant ainsi s’écrouler le méticuleux agencement sonore qui a été pourtant construit rien que pour nous. Et pour peu que l’on ne soit pas hypnotisé par l’atmosphère confessionnelle et le timbre de voix de Mills, proche de celui d’Elliott Smith, on risque même de s’ennuyer un peu, en tout cas si on ne fait pas un petit effort pour apprivoiser les lieux d’abord.
Au centre de l’album, un morceau permet toutefois d’imaginer ce que les expérimentations de Blake Mills pourraient donner avec une écriture un peu plus limpide, et le résultat est saisissant. Comme la moitié des autres chansons, les paroles de Vanishing Twin ont été co-écrites par le folk-rockeur Cass McCombs, et si elles restent mystérieuses, elles en disent un peu plus sur les failles narcissiques du producteur-guitariste alors que son reflet disparait lentement dans le miroir. Ici articulés autour d’une structure classique couplet-refrain, les habituels détours harmoniques de Mills permettent pour une fois de créer une émotion immédiatement palpable, voire poignante, sans rien renier de l’exigence expérimentale que l’on peut trouver ailleurs dans l’album. Rien que pour ce morceau, on a donc furieusement envie que Blake Mills continue ses explorations peut-être un peu trop hermétiques ailleurs. Avec, pourquoi pas, l’idée qu’il trouve un jour l’équilibre parfait entre songwriting et avant-garde.
A ECOUTER EN PRIORITE
Vanishing Twin, Summer All Over, Window Facing A Window, Never Forever
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