Black Country, New Road – ‘Forever Howlong’

Album / Ninja Tune / 04.04.2025
Art rock

Qui aurait pensé, trois ans après le départ d’Isaac Wood, que Black Country, New Road poursuivrait son aventure sans sourciller, ainsi amputé de son frontman et de sa patte proéminente sur l’orientation esthétique des deux premiers disques ? Naturellement, le sextet a pourtant fait le choix de jouer la carte de la démocratie directe pour écrire la suite de son histoire. Si sa musique s’est toujours construite sous forme d’exploration collective, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a jamais sonné aussi riche d’influences et de spontanéité qu’aujourd’hui, loin de l’image des petits rats de conservatoire jouant aux enfants terribles qui pouvait peser sur elleux jusqu’ici.

Pour comprendre pleinement de quoi il en retourne avec ce nouveau chapitre se tournant plus explicitement vers la folk et une chamber pop au plus près de ses racines instrumentales, il faut avant tout considérer la merveilleuse parenthèse Live At Bush Hall qui, déjà, coupait radicalement les ponts avec les influences premières du groupe, comme avec les élans jazz fusion de son précédent opus. La force collective, affirmée dès le titre d’ouverture, vient d’ailleurs balayer ici toutes nos craintes d’une possible redite ou d’une sortie de piste. Besties est ce mélange idéal d’évidence et de surprises, à commencer par ses chœurs épiques, son clavecin détonnant et ses arrangements qui brillent de mille feux. Mais ce n’est pourtant là qu’un bien faible aperçu du panel d’émotions qui nous traverse à l’écoute de cette collection de onze titres vers lesquels il faudra beaucoup revenir pour en saisir toute les nuances, et donc toute la substance.

La pluralité des timbres et la diversité des lignes mélodiques faisant se rencontrer des modes et des mondes qui n’étaient pas destinés à faire connaissance, font alors le plus grand bonheur de nos oreilles au fil de ces 52 minutes d’un voyage aussi baroque qu’intimiste. Dans son profond lyrisme se révèle alors une Sainte Trinité inattendue : celle formée par les voix de Georgie Ellery, May Kershaw et Tyler Hyde. Il y a bien sûr toujours les bois de Lewis Evans, la batterie de Charlie Wayne et la touche guitaristique de la dernière recrue Luke Mark, mais les compositions semblent ici, avant tout, bâties et taillées pour les voix sublimes des trois chanteuses, sans pour autant qu’elles mettent de côté leurs instruments de prédilection – piano, accordéon, claviers, basse et violon, le tout sublimé par la production de l’orfèvre James Ford. Entre ballade faussement naïve (Salem Sisters), démonstration sensible d’un songwriting édifiant (Two Horses), se trace alors un autre chemin, quelque part entre les Beatles et Randy Newman : le leur. Il faut entendre ces longues notes tenues à la voix en forme de trompe-l’oreille sur Happy Birthday, la polyphonie désarmante de Mary ou bien les harmonies glissantes qui jonchent For The Cold Country pour pleinement comprendre les nouvelles ambitions de la formation. Ce que le groupe perd en pouvoir d’expérimentations, il le gagne en finesse et en qualité d’écriture.

Celleux qui cherchent encore un disque de rock électrique du côté de Black Country, New Road seront donc forcément déçu.e.s : ce sont ici avant tout la couleur des timbres, les structures aventureuses, et la douceur qui émanent de ces compositions d’esthète, plus luxuriantes et moins schizophrènes. En calmant quelque peu ses ardeurs pour se montrer plus mature et apaisé, le groupe livre avec ce troisième disque studio son œuvre la plus aboutie. Au-delà des attentes, il accouche alors d’une oeuvre d’une profonde sincérité, portée vers un but unique : le plaisir de la musique, des voix, des sons et des belles histoires. Le tout délivré sans autres artifice que le feu intérieur qui brûle en chacun de nous, doux foyer prêt à accueillir la plus bouleversante des voies possibles : celle que la formation a choisie.