Bermud – ‘Chetter Hummin’

Bermud – ‘Chetter Hummin’

Album / Reverse Tapes / 31.03.2023
Grungegaze

Les étiquettes sont par définition réductrices : elles cloisonnent, délimitent, définissent. Mais que dire de la combinaison de deux étiquettes ? En choisissant de présenter, ironiquement ou non, sa musique comme du Grungegaze, Bermud échappe habilement à une trop stricte catégorisation à laquelle le condamnerait l’identification à un seul genre, et permet, par la rencontre féconde de deux univers distincts, de s’assurer un espace de jeu faisant surgir une certaine originalité. Étonnamment, en produisant ce mélange hybride entre rage et frustration d’un côté et contemplation et rêverie de l’autre, il révèle, peut être sans le vouloir, les contradictions dans lesquelles se débat la jeunesse d’aujourd’hui, tiraillée entre devoir d’engagement et désir de repli sur soi. Cette capacité à être, dans une certaine mesure, l’expression symbolique des atermoiements d’une génération est peut-être l’une des raisons qui rend précieux Chetter Hummin, le premier album de Bermud.

A l’origine de cette toute jeune formation, on trouve Elliot Aschar, ingénieur du son et ancien guitariste de Jumaï, rejoint par Jean et Jack, batteur et guitariste des regrettés Wild Fox, ainsi que par Thibault Bourgeais à la basse. Si la douceur angevine peut relever du cliché, la vitalité et la qualité de la scène rock de la cité au bord de la Maine sont des réalités et Bermud, en agrégeant certains de ses meilleurs représentants, en est la preuve éclatante. L’identité musicale du groupe, c’est d’abord la tension qui existe entre les mélodies aériennes et les guitares plombées, créant tout au long de l’album des contrastes qui empêchent l’uniformité. C’est ensuite un panel d’influences qui, si elles se remarquent assez bien, créent pourtant, par leurs associations inédites, des effets auxquels on ne s’attendait pas. D’aucuns pourraient en profiter pour dire qu’il n’y a là rien de nouveau, et on pourrait leur répondre que la création – surtout dans le cadre de la musique populaire – relève le plus souvent de rencontres hasardeuses ou provoquées plutôt que du mythe d’une invention radicale. D’ailleurs, le recyclage d’éléments déjà existants implique, pour faire émerger quelque chose d’original, de l’audace, de l’imagination et du bon goût dans la sélection des références à exploiter ; et ces qualités, peu répandues, sont d’autant plus admirables qu’elles ont le mérite d’être réelles, alors qu’on ne peut en dire autant de cette capacité mystérieuse à créer ex nihilo dont on pare les génies.

Alors certes on entend sur I’ll Wait For You des airs de Cocteau Twins, tandis que Raging Fever, premier single très caractéristique du son et de la démarche du groupe, emploie les guitares à la manière de DIIV pour basculer finalement du côté de la hargne propre au Grunge. On rencontre également des échos de My Bloody Valentine, Nirvana et des Screaming Trees sur le très réussi Wire, ou un chant évoquant des souvenirs de Fontaines DC sur Wasted. Mais chaque influence, sitôt identifiée cède la place à une autre, si bien qu’elle ne marque pas durablement et totalement le morceau de sa couleur et n’imprègne pas notre mémoire : elle affleure sans s’imposer, et la légèreté de sa présence lui permet de se métamorphoser au contact d’une autre. C’est la vertu des artistes d’aujourd’hui d’avoir pu, par l’accès illimité à toute la musique existante, se constituer très rapidement une culture au sein de laquelle les références s’organisent les unes par rapport aux autres de façon singulière. Ils peuvent ainsi être inspirés sans être déterminés, créer des liens entre les œuvres sans être dans la révérence paralysante vis-à vis de celles-ci. Le premier album de Bermud produit de cette manière un effet jubilatoire, lié à ces rapprochements inattendus entre ces sonorités déjà écoutées séparément par le passé, et la machine à souvenirs peut alors s’emballer, mais pour mieux résonner avec le présent. Et c’est lorsque cette science du télescopage passe au second plan, comme sur Wasted ou la ballade Enough, que l’expérience, bien qu’agréable, redevient un peu plus conventionnelle, ce que l’on pardonne bien volontiers à des musiciens capables d’oser sans complexe.

Ainsi, avec Chetter Huminn, Bermud se joue des étiquettes pour mieux tracer les contours d’un monde où l’onirisme des mélodies Shoegaze réorientent l’engagement physique jusqu’alors désespéré du Grunge. L’imaginaire retrouve alors sa fonction : réenchanter le réel.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
I’ll wait for you, Raging Fever, Wire, A Soft Dream


Pas de commentaire

Poster un commentaire