10 Avr 21 Ben Shemie – ‘303 Diary’
Ep / Nahal / 26.03.2021
Expérimental
Difficile de dire si Ben Shemie a souffert de son isolement parisien l’année passée, loin de ses collègues canadiens, mais sa production ne s’en ressent pas. En effet, 303 Diary est la troisième production à mettre à son actif après Fiction, dernier Ep de Suuns, et son précédent album solo A Single Point Of Light paru il y a à peine un an.
La quantité n’interdisant pas la qualité, 303 Diary est certes exigeant et dépouillé comme tout ce que fait son auteur, il propose une variation très maîtrisée autour d’un instrument imposé, en l’occurrence le séquenceur Roland TB303. L’histoire de l’outil est intéressante puisque sa production fut éphémère (deux ans au début des années 80) – l’objet étant inadapté aux pratiques pour lesquelles il fut créé : des effets de basse pour guitaristes – mais il fut audacieusement récupéré par la scène disco italienne avant de faire les beaux jours des clubs de Détroit dont il est devenu à lui seul l’emblème du son Acid House.
Passés ces détails, quelle exploitation un bidouilleur comme Ben Shemie pouvait bien faire de l’appareil ? 303 Diary ne diffère pas fondamentalement du son de ses précédents albums solo, évitant l’écueil d’une exploitation jusqu’au-boutiste des capacités de la machine, en fusionnant voix et instruments traditionnels dans une recherche musicale pointue. Il élabore en cinq titres un projet mi-pop, mi-electronica âpre et fragile, sous la houlette du précieux Radwan Ghazi Moumneh (Jerusalem In My Heart) avec lequel chacune des collaborations vaut de l’or.
L’entame de Everything Is Spinning est magistrale et extirpe tout le matériel sonore du néant. Des cascades de petites notes épileptiques, comme des étincelles sorties du feu des origines, couvrent un écho qui peine à se faire entendre. Puis au bout de deux minutes, la dispersion cède le pas à l’organisation, dans une sorte de contrepoint fantomatique enchaînant des accords de plus en plus brillants. Ce titre programmatique s’étire enfin en quelques nappes atmosphériques, puis donne le ton de tout ce qui suit.
Upside Down s’enchaîne naturellement sur les derniers soubresauts du clavier. Les cliquetis ‘acides’ si identifiables s’installent et accompagnent un chant nonchalant, sorte de promenade naïve posée sur un faux rythme. Le final répétitif s’englue dans la monotonie, mais permet paradoxalement à Didem (qui porte le nom de la musicienne qui joue la mélodie au kanun, sorte de harpe d’origine turque) d’épanouir sa virtuosité et sa musicalité au point d’en faire le climax presque psychédélique de l’album. Si Swinging ne parvient pas, malgré la rythmique jazzy, à annihiler les abus de distorsions vocales, Hurts So Real clôt l’EP brillamment, dans un morceau de pop sombre et vaporeux hélas trop court tant sa progression paraît pouvoir durer encore…
Ben Shemie continue de construire avec cette troisième production solo une discographie authentique et sans compromis, identifiable dès les premières notes. 303 Diary est une création oscillant entre deux tentations, pop et expérimentale, où beaucoup trouveront l’ambiance qui manque à leurs jours.
A ECOUTER EN PRIORITE
Everything Is Spinning, Didem, Hurts So Real
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