Bambara – ‘Birthmarks’

Bambara – ‘Birthmarks’

Album / Bella Union / 14.03.2025
Rock

Il est toujours frappant d’observer la musique d’un groupe s’étoffer et se mouvoir vers de nouveaux territoires à mesure de ses albums. Les Américains de Bambara sont un parfait exemple de ce processus, à la différence qu’eux y apposent une ambition toute autre : celle de créer, plus qu’une signature sonore, un monde vivant, peuplé de leurs textes et de leurs mélodies. Chaque disque agit comme un ensemble d’esquisses qui viennent enrichir et détailler cet univers imaginaire parfois lugubre, souvent brutal. Avec Birthmarks, album produit par Graham Sutton (Bark Psychosis), le trio nous ouvre de nouveau les portes de ses paysages gothiques, au travers de dix titres pour autant d’atmosphères.

On l’avait compris à l’écoute de Love on My Mind, dernier EP sorti en 2022 : les frères Reid et Blaze Bateh, accompagnés de leur ami d’enfance William Brookshire, en ont fini avec l’agressivité cathartique des débuts. Aux murs de sons qu’ils érigeaient dans leurs premiers projets à grands coups de textures et de distorsions, Bambara préfère chercher l’immersion et la profondeur. C’est bien cela le but : créer un décor mélodique dans lequel Reid (chant et guitare) peut déployer ses personnages comme une troupe de théâtre damnée et les mettre en scène de manière crédible. Pour offrir plus de diversité et de complexité à leur son, les trois ont une nouvelle fois invité de nombreux musiciens pour y ajouter des cuivres et des voix féminines. Cette démarche vient en lien avec la volonté de ne pas triturer à outrance le son des instruments, de laisser sonner les cordes, le saxophone ou la batterie de manière organique.

Ainsi, l’entame Hiss déploie un son crépusculaire où l’instrumental, discret, laisse toute la place au dialogue des voix de Reid et d’Emma Acs (Crack Cloud, Evil House Party). Les sons profonds du vibraphone se substituent ici à la guitare pour conserver la noirceur, signature du trio. Birthmarks affirme également sa puissance sur d’autres titres (Letters From Sing Sing, Pray to Me, Loretta) en revenant à des tempos plus rapides et se rapprochant des compositions les plus excitées d’un Nick Cave. Là où l’album brille et nous transpose au cœur de ses paysages, c’est dans les moments où Bambara s’éloigne avec plus d’audace des codes post-punk pour déployer son côté théâtral. En effet, quand le groupe laisse libre cours à ses ambitions narratives, il parvient à nous immerger au sein d’un roman noir, où chaque titre serait un chapitre. Le disque atteint ses hauteurs sur Face of Love, sur lequel le piano installe la scène en quelques notes, avant que la voix de Bria Salmena n’éclate et déverse un chant empreint de mélancolie. Ces mêmes pas de côté reviennent avec Elena’s Dream et son monologue jazzy, ou Because You Asked dont la dissonance subite en dernière partie de titre rend parfaitement la folie qui habite les acteurs de l’histoire qui nous est contée. Enfin, sur Dive Shrine, la cavalcade de batterie est brisée par un bourdonnement d’outre-tombe menaçant, hanté par les chuchotements de Reid Bateh.

On touche ici à l’autre pilier de Birthmarks : faire ressentir le thème de l’album au-delà des textes, en insinuant musicalement chez l’auditeur cette impression de naviguer dans une atmosphère hantée de fantômes du passé. Les voix féminines prennent ici tout leur sens, elles apportent ce côté spectral, cette dimension abstraite dans la façon de créer des collisions entre les lignes de chant et les différentes tonalités. Ce jeu appuie l’idée d’une narration éclatée. Les histoires de réincarnation, de meurtres et d’amour perdu ressemblent à des fronces de temps, où Elena, la protagoniste, flotte plus qu’elle ne vit. Avec Birthmarks, Bambara livre son monde le plus complexe et le plus riche dans sa narration. La voix de Reid n’a de cesse d’explorer les sonorités et les placements tandis que les instruments, toujours plus nombreux, lui offrent un territoire d’expression en expansion. Ainsi, le trio montre une nouvelle fois son talent pour édifier des univers immersifs, pour tisser des mots dignes des plus grands lyricistes et dessiner les peurs et le désespoir. L’ensemble oscille cependant toujours entre cette volonté purement théâtrale et les envies de brutalité post-punk qui semblent, comme les décors de son sud natal, toujours marquer le groupe comme une tâche de naissance.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Face of Love, Because You Asked, Dive Shrine

EN CONCERT

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